La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Neige" Une création sensible donnant la place à des paroles féminines à la fois introspectives et universelles

Neige est une adolescente de quatorze ans. Elle a hâte de grandir. Sa mère, quant à elle, s'étonne de vieillir. Quand du jour au lendemain, Neige disparaît dans la forêt, il n'y a pas d'autre solution que d'aller la chercher. Personne ne sortira de ce bois comme il en est entré…



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
La nouvelle création de l'autrice et metteuse en scène, Pauline Bureau, inspirée en partie de Blanche-Neige, célèbre conte des Frères Grimm, est un véritable bijou scénographique, mené de main de maître par Emmanuelle Roy. Cela dit, il n'est pas si nécessaire que cela de savoir que la pièce s'en est inspirée, tant le message principal qui s'en dégage se suffit à lui-même : celui de la quête de soi et de notre rapport aux autres pour tenter d'y accéder, notamment nos rapports à nos parents. Il est même probable qu'en avoir connaissance retire à l'ensemble de la représentation une forme de magie particulière.

Pas besoin de références à bien y regarder. Ni à Blanche-Neige ni aux contes, de manière plus générale. Quand bien même "Neige" y fait allusion à quelques reprises. "J'avais envie d'écrire un spectacle qui soit à la fois un conte et un teen movie (…) et donc c'est "Neige" qui a vu le jour. La pièce raconte combien c'est dur et beau d'être l'enfant de quelqu'un, tout comme d'être le parent de quelqu'un. Et parfois, on est les deux à la fois", Pauline Bureau.

La jeune adolescente de la pièce, remarquablement interprétée par Camille Garcia, n'est finalement pas si "blanche comme neige" que cela, car il y a en elle un désir brûlant de s'émanciper, de "bouger les lignes" pour partir à la découverte d'elle-même et échapper aux règles strictes que sa mère lui impose.

Vêtue de son tutu, d'un gilet matelassé sans manches et de bottines en cuir fauve, elle a des allures punk et, à bien y regarder, Neige est semblable à bon nombre d'adolescentes contemporaines en proie à leurs désirs d'émancipation et de liberté.

C'est dans une forêt resplendissante, presque plus vraie que nature, qu'elle va s'engouffrer et se confronter à elle-même. Ce pourrait être la jungle. Mais, bien au contraire, l'atmosphère y est douce et feutrée, bien loin de sa chambre et du miroir devant lequel elle répète ses mouvements de danse classique et dans laquelle sa mère lui réclame autoritairement de cambrer davantage, ou lui fait remarquer que, dans ses cheveux, il y a trop de nœuds…

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Encore une fois, au risque de nous répéter, la scénographie de ce spectacle est éblouissante. Une biche passe en fond de plateau, nous regarde, plus vraie que nature grâce aux vidéos de Clément Dubailleul, puis c'est au tour d'un loup et plus tard d'une meute galopante.

Sous la houlette si sensible et poétique de Pauline Bureau, la magie opère à nouveau dans cette nouvelle création, comme ce fut le cas dans "Dormir cent ans". La forêt devient un personnage à part entière, donnant envie au spectateur de s'y plonger aussi, pour peut-être ne pas en ressortir, ou alors pour espérer y être un tant soit peu métamorphosé.

"Ce spectacle est sûrement le plus visuel que j'ai imaginé (…). La forêt et l'eau ont de multiples visages et les acteurs et actrices sont plongés dans un rapport organique", Pauline Bureau. Les images subaquatiques projetées sur le mur en béton d'une citerne pourtant massive et sans âme, subliment un ensemble déjà d'une grande poésie.

On peut s'interroger sur la nécessité de l'enquête policière qui s'ajoute à la dramaturgie. Selon nous, cette dernière dénature quelque peu le message global qui convoque incontestablement une très grande poésie, laquelle se suffit à elle-même.

Le réalisme poétique est à paroxysme vers la fin du spectacle, lorsque la mère de Neige – brillamment interprétée par Marie Nicolle – parle d'elle-même et confie à son enfant tout ce qu'elle ne lui a jamais dit, parce qu'ainsi va la vie dans le rapport mère-fille, bien souvent, faite de chaos, de soubresauts, de doutes monumentaux, d'incompréhension réciproque, de déchirures. Le tout piétinant l'amour pourtant toujours bien présent !

La neige tombe sur le plateau, les chaussures crissent sous les pas, au sein de la forêt, les mots prennent enfin leur liberté, tamisés, durs et doux à la fois, pour convoquer un magnifique moment de théâtre dont on se dit, dans notre for intérieur, qu'il serait apaisant s'il venait aussi à nous, un jour prochain…

Cette nouvelle création de Pauline Bureau, après déjà vingt mises en scène, tant de ses propres textes que de ceux d'autres auteurs, est à ne rater sous aucun prétexte. On y découvre une créatrice profondément sensible qui donne encore une fois place à des figures féminines à la parole introspective et universelle à la fois.

Dès son entrée dans la salle, le spectateur est immergé au sein de la forêt grâce aux projections grandioses de vidéos. Dans le hall, le ton sylvestre est donné également.
Rendez-vous à la Colline, dévalez-en vite les pentes pour vous engouffrer comme Neige dans cet univers si propre à Pauline Bureau et savourez le silence.

"Neige"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte et mise en scène : Pauline Bureau.
Assistante à la mise en scène : Léa Fouillet.
Avec : Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Marie Nicolle, Anthony Rouillier, Claire Toubin.
Scénographie et accessoires : Emmanuelle Roy.
Costumes : Alice Touvet.
Perruques : Julie Poulmain;
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot.
Dramaturgie : Benoîte Bureau.
Vidéo et magie : Clément Debailleul.
Lumières : Jean-Luc Chanonat.
Maquillages et perruqyes : Julie Poulain.
Collaboration artistique: Valérie Nègre.
Cheffe opératrice tournage subaquatique : Florence Levasseur.
Décor réalisé par Les ateliers de La Comédie de Saint-Étienne.
Production : La Part des Anges.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h 25.

Du 1ᵉʳ au 22 décembre 2023.
Du mercredi au samedi à 20 h 30, mardi à 19 h 30 et dimanche à 15 h 30.
Mardis 5 et 12, jeudis 7 et 14 : séances supplémentaires à 14 h 30.
Théâtre national de la Colline, Grand Théâtre, Paris 20ᵉ, 01 44 62 52 52.
>> colline.fr

Tournée
11 et 12 janvier 2024 : Le Bateau Feu - Scène nationale, Dunkerque (59).
25 janvier 2024 : Théâtre Le Cratère, Alès (30).
5 et 6 février : Scène nationale 61, Alençon (61).
11 et 12 avril 2024 : Espace des Arts - Scène nationale, Chalon-sur-Saône (71).
17 et 18 avril 2024 : Théâtre de Cornouaille - Scène nationale, Quimper (29).

Brigitte Corrigou
Jeudi 7 Décembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024