La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Move on over or we'll move on over you" L'histoire des Black Panthers : entre bulle créatrice et vérité historique

Trois imprimeurs militants, dans les années soixante, aux USA, Faith, Wisley et John, appelés les Black Panthers Party for Self-Defense, travaillent dans un atelier de sérigraphie. Leur mission : médiatiser la lutte du parti en créant des affiches et en imprimant un journal. Ils réagissent aux différents événements qui scandent la chronologie de leur mouvement. Face aux obstacles successifs qui leur sont opposés, ils ripostent chaque fois par de nouveaux modes d'action et d'autres formes d'images. Leur but : renverser les paradigmes du racisme et recouvrer une intégrité. Sept ans d'histoire militante sont compressés dans 1 h 25 de spectacle.



© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Il en est souvent ainsi dans ce vaste espace qu'est le théâtre : la place accordée au "théâtre d'objets" est bien trop minime et, à nos yeux, reste bien trop méconnue. Et pourtant, ce dernier existe depuis les années quatre-vingt, et c'est d'ailleurs à cette époque que l'expression a été inventée.

Nous en avons d'ailleurs pour preuve, l'existence du Festival Marto qui existe depuis vingt ans et qui, chaque année, dans les Hauts-de-Seine, témoigne de sa vitalité. Ou encore, la Biennale urbaine des Arts de la marionnette de Pantin.

Car il en est question, de ce "théâtre d'objets", dans "Move on over or we'll move over you", pièce de Stéphanie Farison du CollectfifF71. À bien y regarder, quelle autre source d'inspiration que celle de l'histoire des Black Panthers aurait pu convenir autant à ce projet du Collectif et à sa metteuse en scène ? Certes, ici, pas de marionnettes ni "d'objets" à proprement parler, car il y est davantage question de sérigraphie, de ses outils et de son mode d'expression. En un mot, de la force de l'image et de tout ce que cette dernière implique. Dans notre monde où l'image-objet fait loi depuis bien longtemps, l'hommage irréfutable qui lui est porté dans ce spectacle est remarquablement traité.

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Mais, ici, il s'agit surtout de l'image comme force de propagande et de combat. La scénographie de ce spectacle, taillée au cordeau et menée de main de maître par les deux comédiens et la comédienne, lui permet de prendre vie à part entière et d'être, à elle seule, un élément intrinsèque qui danse véritablement sur le plateau. Le graphisme de ces dernières, réinventé de libres choix et par pure volonté esthétique par la metteuse en scène, est un mélange de poésie et de sensibles revendications.

Les centaines de dessins qui seront proposés au parti pour son vaste programme par le graphiste Emory Douglas, vivent littéralement de manière revisitée sur le plateau, sous les doigts agiles des interprètes, et virevoltent littéralement dans une danse chorégraphique formidablement plastique, hautement esthétique et maîtrisée.

"Je souhaite que le spectateur ressente le concret de la réalisation des affiches en temps réel dans le fait d'explorer les possibilités qu'offre ce processus de fabrication en direct sur scène et les actions concrètes qui la jalonnent", Stéphanie Farison. Le spectacle y parvient remarquablement.

Combattre le racisme alors que, pourtant, tout avait déjà été tenté ! Tel était le but du BPP (le Black Panther Party), ce mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine d'inspiration marxiste-léniniste et maoïste né en Californie qui visait à combattre le capitalisme et l'impérialisme.

© CollectifF71.
© CollectifF71.
C'est de façon très esthétique que le spectacle de la CompagnieF71 convoque la conception politique de l'art en déployant sur scène la création sérigraphique en live des affiches élaborées par les Black Panthers.

"L'art révolutionnaire est un outil de propagande", dira Emory Douglas, l'artiste-graveur officiel des BPP de 1967 à sa dissolution en 1980.

Ce qui caractérise le travail du CollectifF71, c'est l'interrogation du réel, de l'Histoire, des luttes et l'usage de matériaux dramaturgiques diversifiés pour créer une écriture scénique (archives, textes littéraires, articles, dessins, paroles, matériaux du réel non théâtraux).

Ici, le pari est largement gagné. Le spectacle convoque également la musique des années soixante-dix et des tubes de l'époque. Cela lui apporte un supplément d'âme, et tout particulièrement à cet atelier entièrement imaginé par Stéphanie Farison dans lequel bout et foisonne un besoin de lutte irrépressible. Le chant, remarquablement interprété par Camille Léon-Fucien, décuple tout en force et subtilité ce combat qui fut celui des Black Panthers. Les deux autres comédiens, Joris Avado et Maxence Bod interprètent brillamment, de façon viscérale et comme organique, cette lutte des Black Panthers dont les historiens disent qu'elle a été pour le moins "invisibilisée" et trop simplifiée…

© Jeanne Bodelet.
© Jeanne Bodelet.
Pas d'invisibilité dans leur jeu respectif, loin de là ! Bien au contraire. Les Black Panthers, par leur biais, revivent sous nos yeux et confèrent à ce spectacle des élans intrinsèques qui pourraient être largement contemporains et renaître…

"Il s'agit de traquer l'énergie, les intensités à l'œuvre qui, en deçà des discours, accompagnent les prises de consciences individuelles et convoquent les actions collectives pour penser le soulèvement", CollectifF71.

Sans tout ce travail particulier, parions que ce spectacle aurait pu basculer dans l'écueil de la simple évocation historique et factuelle, écueil dans lequel Stéphanie Farison et son équipe ne sont heureusement pas tombées.

Spectacle vu le mardi 5 décembre 2023 au CDN de Nancy.

"Move on over or we'll move on over you"

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Texte : Stéphanie Farison (texte lauréat des encouragements à l'écriture - ARTCENA).
Mise en scène : Stéphanie Farison.
Assistante à la mise en scène : Fanny Gayard.
Collaboration dramaturgique : Lucie Nicolas.
Avec : Joris Avado, Maxence Bod, Camille Léon-Fucien.
Scénographie : Lucie Auclair
Création sonore : Éric Recordier
Création lumière : Laurence Magnée + Émeric Teste
Régie et construction + construction additionnelle : Lucas Rémon, Max Potiron.
Tout public à partir de 13 ans.
Projet du CollectifF71 créé le 2 mars 2023, aux Transversales de Verdun (55)

A été représenté au Théâtre de la Manufacture - CDN Nancy Lorraine, à Nancy, du 5 décembre au 8 décembre 2023.

Tournée
9 février 2024 : Centre Culturel Houdremont, La Courneuve (93).
10 mars 2024 : L'Azimut - Théâtre Firmin Gémier La Piscine,Festival MARTO, Chatenenay-Malabry (92).

Brigitte Corrigou
Mercredi 13 Décembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024