La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

•Molières 2018• "Une chambre en Inde"… contre tous les intégrismes !

"Une chambre en Inde", Théâtre du Soleil, Paris

Reprise Ariane Mnouchkine traite de la place du théâtre dans un monde marqué par les guerres, le terrorisme et un populisme d'exclusion qui rend service à celui-ci. Et elle y répond avec humour et passion.



© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Cornélia (Hélène Cinque) fait partie d'une troupe dont le directeur, M. Lear, a été appréhendé par la police indienne après être monté, nu, sur la statue du Mahatma Gandhi et avoir crié "Artaud". Il avait "pété les plombs" suite aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Du personnage, de son nom et de son acte, tout est passé à travers le prisme du théâtre ainsi que ses coulisses et ses questionnements.

Cela se passe dans une chambre en Inde où se trouve Cornélia, souvent allongée. Difficile de démêler ce qui est en dehors, de ce qui est en dedans, de ce qui est de l'imagination ou de la réalité. Tout est imbriqué. Monde et événements s'y logent faisant de ce lieu une incarnation de l'esprit du personnage.

La pièce est une œuvre collective construite autour d'improvisations. Mnouchkine se demandait "comment aujourd'hui raconter le chaos d'un monde devenu incompréhensible ? Comment raconter ce chaos sans y prendre part, c'est-à-dire sans rajouter du chaos au chaos, de la tristesse à la tristesse, du chagrin au chagrin, du mal au mal ?".

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
La pièce est composée de scènes dans lesquelles le Terukkuttu s'intègre avec le Mahabharata pour dénoncer la violence faite aux femmes. Celles-ci sont accompagnées de chants et de musiques aux rythmes soutenus ; et certains comédiens sont vêtus de costumes chamarrés aux couleurs vives. L'ailleurs incarne un véritable lieu où le mythe entre par effraction dans la chambre.

Le jeu est très physique avec des voix projetées qui, tout au long du spectacle, manifestent une réelle dynamique dans laquelle les corps s'expriment avec force. Tous les comédiens sont dans cette configuration spatiale, vocale et corporelle.

Un téléphone rappelle souvent Cornélia à la réalité. D'un rêve, elle passe à la recherche d'une inspiration, d'un positionnement théâtral pour traiter de la situation géopolitique du monde.

À travers elle, c'est Mnouchkine qui interpelle, dénonce la maltraitance des femmes, le terrorisme, ses exactions. Elle revendique le théâtre non comme un garrot qui arrêterait les massacres en Irak, en Syrie, en Libye ou ailleurs. Mais comme un Art qui peut délivrer la société de ses peurs.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Il y a une superposition d'espaces-temps, avec le Mahabharata et l'Inde d'aujourd'hui, dans différents lieux, en Arabie Saoudite, dans le désert ou en Islande, où songes et réalités se rejoignent. C'est une pièce-carrefour où l'hindi, le français, l'anglais et l'arabe se mêlent.

Daech est aussi évoqué, intégré dans l'histoire, dans des propos d'extrémistes truffés de lapsus qui dénotent leurs perversités ou dans un attentat manqué faisant apparaître la figure bête et naïve du terroriste. C'est très comique. Un Irakien, beaucoup plus tragique, explique Daech et le devenir de son pays.

La fin est directement inspirée du "Dictateur" de Chaplin. Le personnage, maquillé de blanc avec la moustache d'Hitler, prend la parole pour lancer un appel à être ensemble, à lutter contre tous les extrémismes. En lui, c'est l'Art et la Vie qui sont symbolisés pour venir en aide dans ces périodes troublées.

La note finale est presque idyllique. Mais c'est une belle note d'espoir. Il y a une prise de risque de Mnouchkine de traiter Daech de façon comique pendant une période d'attentats. Et c'est une force de n'avoir fait aucune concession pour briser une peur dans laquelle le terroriste s'emploie à nous enfermer. Le théâtre devient lutte sans pour autant sortir de ses allées de poésie et d'humour.

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
À quoi sert le théâtre ? La question revient souvent dans la bouche de Cornélia. Elle porte l'idée que celui-ci doit avoir toujours raison des extrémismes. Et c'est ce que fait admirablement la superbe troupe du Théâtre du Soleil.

* Le terrakkutuu est un art populaire qui englobe toutes les variantes d'une forme de théâtre de rue pratiquée en Inde du sud. Il raconte essentiellement les deux grandes épopées : le Mahabharata et le Ramayana, ainsi que quelques légendes locales dont les protagonistes sont les dieux du Panthéon hindou et des personnages mythiques. Contrairement aux formes traditionnelles indiennes, il se réfère aux textes classiques tamouls. Il a ainsi sa propre manière de raconter les mythes en y incorporant une dimension ritualiste inspirée des croyances locales.

"Une chambre en Inde"

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Une création collective du Théâtre du Soleil.
Dirigée par Ariane Mnouchkine.
Musique de Jean-Jacques Lemêtre.
En harmonie avec Hélène Cixous.
Avec la participation exceptionnelle de Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran.
Durée : environ 4 heures, entracte inclus.
3 h 30 + entracte de 15 minutes les mercredi et jeudi, entracte de 30 minutes les vendredi, samedi et dimanche.

Pour découvrir la distribution complète :

© Michèle Laurent.
© Michèle Laurent.
Du 5 novembre au 31 décembre 2016.
Du 3 mars au 21 mai 2017.
Du 16 juin au 9 juillet 2017.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, samedi à 16 h, dimanche à 13 h 30.
Théâtre du Soleil, La Cartoucherie, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> theatre-du-soleil.fr

Du 30 mai au 10 juin 2017.
Printemps des comédiens,
Montpellier, 04 67 63 66 67.
>> printempsdescomediens.com

Tournée et reprise
Du 5 au 20 décembre 2017.
Au Park Avenue Armory, New York, USA.
>> armoryonpark.org/programs_events/detail/a_room_in_india

À partir du 24 février 2018.
Du mercredi au vendredi à 19 h 30, samedi à 16 h, dimanche à 13 h 30.
Théâtre du Soleil, La Cartoucherie, Paris 12e, 01 43 74 24 08.
>> Plus d'infos

Première publication : 3 janvier 2017.

Safidin Alouache
Dimanche 3 Décembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024