La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Moi aussi je suis Catherine Deneuve" Une famille emportée dans un tourbillon de folie, de chansons et de rire

Élodie Chanut met en scène ce premier texte de Pierre Notte qui avait été décoré du Molière de l'écriture. C'est également une première pour elle : une mise en scène de théâtre musical. Même si ses précédentes créations utilisaient régulièrement la musique, dans cette pièce, scènes, dialogues et chansons sont comme la trame et la chaîne d'une tapisserie, indissociables. Il y a même parfois transformation de l'un à l'autre, le parlé devenant pour quelques phrases chanté, le chanté se rétrécissant jusqu'au phrasé le plus quotidien.



© Pascale Cholette.
© Pascale Cholette.
C'est pour la forme, et pour filer la métaphore de la dentelle, que la metteuse en scène demande à ses interprètes, car il s'agit de ne pas perdre l'intensité dramatique, de passer du parlé au chanté. Mais ainsi, toute la pièce semble posséder une dimension supérieure, un peu aérienne, qui s'ajoute à l'histoire elle-même de cette famille dont chaque membre porte une cicatrice béante, une souffrance, une folie.

Pierre Notte nous plonge dans la psychologie de ses personnages en dévoilant les chocs intimes que l'on connaît dans les familles. Parfois les non-dits sont des sources de conflits, ici, c'est le contraire, la mère et ses deux filles expriment leurs mal-être cash. Cela donne des scènes vives, vivantes, des oppositions tranchées, des répliques qui joutent en esquives ou en provocation. Un ballet de mots qui, de l'extérieur, sont d'un comique irrésistible. Un comique qui prend sa source dans le tragique de cette famille sans jamais une once de pathétisme.

Il faut imaginer un radeau lancé sur la crête d'une immense vague en pleine tempête. La scène de "Moi aussi, je suis Catherine Deneuve" est comme cet esquif, sorte de lieu de survie, seul endroit où la lumière brille malgré tout pour cette famille étrange, écorchée. Seul endroit où une sorte de compréhension est possible. En fait de radeau, c'est un simple appartement que figure la scénographie d'Emmanuel Clolus : une table dans la cuisine, une salle de douches et une porte. Mais les quatre personnages de la pièce font vaciller cet ordre apparent.

© Pascale Cholette.
© Pascale Cholette.
Famille amputée par la fuite du père et le départ du fils, une famille de femmes, mère et filles que l'on découvre en train de s'accrocher les unes aux autres comme à des bouées pour replonger à chaque fois dans leurs folies respectives. C'est une danse de dialogues, parfois acrobatique où les mots donnent autant le vertige qu'ils évitent de justesse les noyades. Mais ce sont les chansons qui sont surtout comme des soupapes, des bulles de grâce, de drame ou de drôlerie.

Élodie Chanut a demandé à Roselyne Masset Lecocq la composition de ces airs délicats et gracieux (sauf deux chansons composées par Pierre Notte). Sur scène, un pianiste, Axel Nouveau, accompagne en direct et finement les interprètes. Il incarne également le fils, revenu sur la fin. En ce qui concerne les trois autres personnages, Agnès Pat' incarne une Catherine Deneuve lumineuse, drôle, foldingue, avec un très joli naturel. Zelinda Fert incarne sa sœur blessée et se blessant par mal d'amour. Elle porte son rôle sans le rendre trop ténébreux, sans l'édulcorer non plus.

Éléonore Briganti est la mère. Une mère dont la présence éclate, capable de faire briller les ténèbres comme d'écraser l'éclat de lumière dans une éruption de colère. On pense aux films de Rossellini, aux personnages incarnés par Anna Magnani qui transforment le tragique en excès de vie, avec violence et douceur à part égale. Bref, un réalisme poétique puissant et généreux.

"Moi aussi je suis Catherine Deneuve"

© Pascale Cholette.
© Pascale Cholette.
Texte et paroles : Pierre Notte.
Mise en scène : Élodie Chanut.
Jeu et chant : Éléonore Briganti, Zelinda Fert, Agnès Pat'.
Piano et jeu : Axel Nouveau.
Musique : Roselyne Masset Lecocq, sauf "Chanson de Madame Rosenfelt" et "Coup de Froid" composées par Pierre Notte.
Travail vocal : Jeanne Sarah Deledicq.
Création son : Olivier Aldo Pedron.
Création lumière : Pascal Noël.
Scénographie : Emmanuel Clolus.
Construction décors : Atelier MC2: Grenoble.
Costumes Salomé Romano avec le soutien de l'atelier costumes MC2: Grenoble.
Régie générale : Lucile Quinton.
Compagnie l'Œil des Cariatides.
À partir de 11 ans.
Durée : 1 h 10.

Du 12 au 14 octobre et du 19 au 22 octobre 2021.
Mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 20 h.
MC2:, Petit Théâtre, Grenoble (38), 04 76 00 79 00.
>> mc2grenoble.fr

Bruno Fougniès
Samedi 16 Octobre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024