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Théâtre

Les scrutateurs des comportements humains mis à la question

"Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas", en tournée

Une équipe de trois sociologues français part en Afrique de l'Ouest pour une mission d'évaluation et d'analyse du travail des ONG sur place et leur impact sur les populations locales. Elles sont deux femmes… et un homme, ce dernier, chef du projet. Nous les suivons depuis le départ de Paris jusqu'à la fin de leur voyage et l'éclatement progressif de leur groupe face aux réalités externes mais surtout aux conflits internes et intimes de ces trois chercheurs.



© Corinne Marianne Pontoir.
© Corinne Marianne Pontoir.
C'est en immersion totale dans les univers psychologiques de ses personnages que l'autrice Alexandra Badea construit sa pièce. L'accent est mis sur la personnalité de chacun : son caractère, ses doutes, ses peurs, ses hontes, ses traumatismes d'enfance, ses manières de conjurer les paniques et d'ensevelir ses malaises sous une apparente conformité, ses manipulations. Comme dans une enquête menée par un policier féru de psychothérapie, la pièce distille peu à peu les indices et les révélations que ce voyage d'études provoque chez les trois sociologues.

Pourtant, la mise en scène de Vincent Dussart donne l'étrange sensation que les trois universitaires n'ont pas vraiment quitté la zone de transit. Tout se déroule dans l'espace immaculé et comme désinfecté d'un cube en forme de container. De ces containers qui flottent empilés comme des immeubles sur les cargos des océans.

Celui-là, symbolique, agit en prison, en lieu clos, en enfermement, reflet de l'enfermement psychologique des trois intellectuels. Même si le déracinement, la confrontation au concret de l'Afrique nourrit leurs discours, c'est dans la nudité de leurs esprits qu'ils se retrouvent, amputés des béquilles de leurs vies ordinaires : amis, amours, distractions, familles… ils sont en zone de transit, en purgatoire laïc… Et nous ne saurons rien de ces vies d'avant.

© Corinne Marianne Pontoir.
© Corinne Marianne Pontoir.
Mais l'heure n'est pas au pathétique. L'analytique prime. L'intellect. Et le jeu des comédiens, la mise en scène, ainsi qu'une partition sonore et une conduite lumière, dynamiques et chiadées, donnent le rythme et l'organique nécessaire. Tout ici est extrêmement précis. Le geste chorégraphié, les bascules entre adresses directes au public et continuité dramatique, soliloque intérieur scandant les scènes, le ballet vain des corps dans un jeu décalé des sentiments…

À la fin, nulle délivrance. Il s'agit d'un constat sensible de l'éternel conflit entre cérébral, repères d'enfance et corps. La construction du texte est elle-même une dichotomie mentale des personnages, à la manière de ce que fait Anja Hilling, où ceux-ci brisent l'action pour partager avec le public ses raisons, ses sentiments, tout verbaliser dans un temps, et laisser le corps exprimer l'indicible ensuite.

"Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas" est une révolte qui rêve de s'exprimer, un cri de liberté que l'on brandit, une gifle donné aux despotes qu'ils soient modèles, supérieurs ou pères, la bannière du continent dans son combat légitime contre l'Occident, la revanche sur tous les donneurs d'ordre.

Vu au Mail - Scène culturelle de Soissons.

"Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas"

© Corinne Marianne Pontoir.
© Corinne Marianne Pontoir.
Texte : Alexandra Badea, chez L'Arche Éditeur (commande d'écriture).
Mise en scène : Vincent Dussart.
Avec : Roman Bestion, Juliette Coulon, Xavier Czapla, Laetitia Lalle Bi Bénie.
Scénographie et Lumières : Frédéric Cheli.
Chorégraphie : France Hervé.
Musique : Roman Bestion.
Costumes : Lou Delville.
Régie Générale : Quentin Régnier.
Régie : Clément Janvier.
Durée : 1 h 30.
Par la Compagnie de l'Arcade.
>> compagnie-arcade.com

En tournée
Le projet a reçu le soutien de la Fédération d'Associations de Théâtre Populaire (FATP).
14 novembre 2018 : Amis du Théâtre Populaire (ATP), Avignon (84).
7 février 2019 : ATP, Épinal (88).
19 février 2019 : ATP, Nîmes (30).
21 février 2019 : ATP, Uzès (30).
12 mars 2019 : ATP, Aude (11).
15 mars 2019 : Théâtre de la Manufacture, Saint-Quentin (02).
2 avril 2019 : ATP, Poitiers (86).
4 avril 2019 : ATP, Dax (40).
6 avril 2019 : ATP, Villefranche-de-Rouergue (12).
9 avril 2019 : ATP, Millau (12).
12 avril 2019 : ATP, Roanne (42).
16 avril 2019 : ATP, Lunel (34).
25 avril 2019 : ATP, Orléans (45).

Bruno Fougniès
Mercredi 14 Novembre 2018

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© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

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© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

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