La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Les Grands Soirs de l'Ensemble Intercontemporain

Après un Grand Soir numérique donné le 7 février à la Cité de la Musique à l'occasion de laquelle il a créé une œuvre de Yann Robin, l'Ensemble Intercontemporain a brillé un mois après à la Philharmonie pendant un week-end consacré à l'immense Steve Reich.



© DR.
© DR.
Ensemble créé par Pierre Boulez en 1976, les Intercontemporain se consacre bien évidemment à la musique du XXe siècle et à celle du XXIe. Ces 31 musiciens solistes placés sous la direction du chef d'orchestre et compositeur Matthias Pintscher sont des arpenteurs passionnés des territoires gagnés de la musique, d'éminents voyageurs au service de l'exploration du son dans tous ses états. Mais bien plus encore. Ils l'ont encore montré début février à la Cité de la Musique pour un Grand Soir numérique qui faisait le bilan de la création à l'ère des nouvelles technologies dans le cadre d'une édition de la Biennale Nemo.

Rien de ce qui se crée ne leur est étranger. Ils interviennent partout : au sein de performances audiovisuelles, jamais loin de sculptures cinétiques, familiers des "gestruments" et habitués des modes de jeu se mêlant sans peine à l'informatique musicale, entre autres. Dans une soirée riche, propre à explorer l'espace de création entre arts et technologies, l'ensemble a créé les Triades pour contrebasse, ensemble et dispositif électronique de Yann Robin. Ce compositeur né en 1974 a pensé ses Triades à l'intérieur d'un grand cycle conçu autour de la contrebasse ; celle de Nicolas Crosse, le contrebassiste et soliste de l'Ensemble Intercontemporain - à qui l'œuvre est évidemment dédicacée (ainsi qu'à Robin Meier, le programmateur de Robin).

© DR.
© DR.
Dans cette pièce où les outils numériques, la vidéo réagissent en temps réel à l'action physique du soliste sur son instrument, le son est traité par l'électronique et diffusé au travers d'un réseau de haut-parleurs disposés en dôme. Entre l'énergie impressionnante du contrebassiste sommé de lutter pour sculpter une matière inflammable et l'engagement total des vingt autres solistes parfaitement en phase (dont la harpe et deux pianos), cette création de Yann Robin, un des lauréats de la Fondation Royaumont et un fidèle de l'Ircam, a creusé sa différence dans un environnement déjà très inventif (Alex Augier/Alba G. Corral, Simon Steen-Andersen…).

Fort de la richesse de leur longue expérience et avec un appétit intact, l'ensemble a également brillé lors du week-end consacré à Steve Reich début mars. Ce fut l'un des derniers concerts donnés à la Philharmonie avant le grand confinement.

Dans la salle, beaucoup de jeunes et, clairement, un public bien plus large que celui qui d'habitude s'intéresse à la musique contemporaine. C'est bien sûr grâce à ce compositeur né en 1936 à New York qui a toujours su intéresser une très large audience. Pionnier de la musique dite répétitive ou minimaliste, le compositeur américain était à l'honneur pour trois œuvres dont une création française.

© DR.
© DR.
Ce fut d'abord le Double Sextet pour ensemble, composé en 2007, pour un effectif sonorisé de deux fois six - donc pour douze musiciens (cordes graves au centre, bois aux extrêmes, deux vibraphones, deux pianos, et des percussions magnifiques). Les musiciens dirigés par la cheffe Lucie Leguay portent à l'incandescence l'energéia de cette vague infiniment roulée avec sa superposition de motifs répétés, continuellement décalée, extrêmement stimulante, créant la possibilité de multiples contrepoints simultanés entre instruments identiques. Une œuvre enthousiasmante, parfaitement maîtrisée ici par l'EIC.

Runner pour grand ensemble, composé en 2016, comprenant une vingtaine des solistes de l'ensemble, est une pièce qui nous a semblé moins intéressante. Cette nouvelle voie expérimentée par Steve Reich, jouant sur un tempo plus ou moins constant avec ses cinq mouvements joués sans interruption, ne s'extrait guère du commun d'une certaine écriture contemporaine plus convenue, avec ses variations et ses modulations aussi lissées que monotones.

Après l'entracte, retour à une œuvre des plus roborative due à la collaboration du peintre Gerhardt Richter, de la vidéaste Corinna Belz sur une musique de Steve Reich. C'est Moving Picture 946-3. Composée en 2018-2019, la partition de Steve Reich épouse la reproduction informatique de l'œuvre du peintre, in vivo sur grand écran. Selon le schéma de la division, des répliques en miroir et d'un éternel recommencement, l'œuvre offre une série d'images abstraites, de motifs plus ou moins denses colorés, d'anamorphoses qui épousent la musique hypnotique - jouant elle-même de sa géométrie minimaliste. Une expérience filmique et musicale qui s'apparente parfois à de l'abstraction psychédélique. Dirigé cette fois par George Jackson, l'Ensemble Intercontemporain transcende là encore ce geste radical et en fait un vrai morceau de bravoure.

© DR.
© DR.
Prochain concert après confinement ? :
13 et 14 mai à 20 h 30 à la Philharmonie de Paris.
"Lost in dance/Pierrot lunaire".
Saburo Teshigawara, L'art de l'épure.
Musique : Arnold Schönberg, Alban Berg.

>> ensembleintercontemporain.com

Christine Ducq
Lundi 23 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024