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Les Fantaisies oubliées du Second Empire

Jérôme Granjon et son complice Emmanuel Pélaprat, de l'Ensemble Double Expression, ont remis en lumière, sur claviers historiques, le duo piano harmonium cher aux salons du XIXe siècle. Dans leur CD "Fantaisies du Second Empire", ils ont enregistré à côté de pièces de César Franck et Camille Saint-Saëns une charmante sonate oubliée d'Alfred Lefébure-Wely.



Un duo rare au disque comme au concert ? Le duo piano harmonium mérite pourtant d'être remis au goût du jour. À l'écoute, les deux voix dialoguent ou se fondent parfaitement avec leurs vives couleurs poétiques et leur palette des plus expressive. Le pianiste Jérôme Granjon sur un Erard de 1902 et Emmanuel Pélaprat sur un harmonium Mustel (de 1898) le démontrent brillamment dans un enregistrement récent. Une pépite qui ressuscite l'atmosphère des salons du Second Empire.

Les musiciens nous offrent ainsi une Sonate du très oublié Alfred Lefébure-Wely (pour son premier enregistrement au disque). Une partition retrouvée en 2012 parmi des centaines perdues d'un auteur très prolifique. Compositeur et improvisateur fêté en son temps et organiste à l'Eglise de la Madeleine puis à Saint-Sulpice, il contribua à l'histoire du développement de l'harmonium, appelé aussi "orgue expressif".

Petit frère de l'orgue, muni de soufflets actionnés par deux pédales, cet instrument maniable, basé non sur le tuyau mais sur l'anche libre (des lamelles de métal mises en vibration par une pulsion d'air), se tailla vite un vrai succès au concert comme dans les salons grâce à son développement par quelques facteurs ingénieux tel Debain - qui dès 1842 lui octroie plusieurs jeux. De la même famille donc que l'accordéon, sa sonorité évoque irrésistiblement une nouvelle ère, celle de la chanson du XIXe et du premier XXe siècle.

La sonate opus 61 composée par Lefébure-Wely ("Allegro, andante et finale) vers 1850 se veut néanmoins avant tout un bel exemple de musique de salon ou de concert nécessitant une réelle virtuosité - ici dans l'héritage de Frédéric Chopin. Lefébure-Wely n'avait-il d'ailleurs pas tenu l'orgue à l'enterrement de ce dernier le 30 octobre 1849 à la Madeleine ?

Le dialogue piano harmonium se fait ensuite particulièrement subtil et bouleversant pour le Prélude, Fugue et Variation (opus 18) de César Franck - qui livra sa propre transcription du troisième morceau des fameuses "Six Pièces d'orgue". Lefébure-Wely le connaissait bien et avait inauguré avec lui le nouvel orgue Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde en 1859 ; tous deux ouvrant la grande école française.

Pas en reste, Camille Saint-Saëns se saisit aussi de ce duo éloquent pour composer à vingt-trois ans "Six Duos" en 1858, l'année où il prend possession de l'orgue de la Madeleine à la suite de Lefébure-Wely - à qui il dédicace ces "Duos". Jérôme Granjon et Emmanuel Pélaprat en livrent au disque la première version sur instruments historiques et c'est une belle redécouverte.

Si Emmanuel Pélaprat est, entre autres fonctions, titulaire du Grand Orgue Eugène Puget de l'Eglise Notre-Dame du Taur à Toulouse, Jérôme Granjon poursuit une carrière internationale de pédagogue, de chambriste (comme membre co-fondateur du Trio Hoboken) et de concertiste. En mai 2019, son dernier enregistrement (sur instrument moderne) dédié à Schumann sortira chez Anima Records. On pourra également l'entendre les 8 et 9 juin 2019 au Festival "Musiques d'un siècle" à Dieulefit.

● "Fantaisies du Second Empire" (2018).
"Lefébure-Wely, Franck, Saint-Saëns".
Duos Harmonium et Piano.
Emmanuel Pélaprat (harmonium), Jérôme Granjon (piano).
Label : Éditions Hortus.
Sortie : octobre 2018.
Durée totale : 62'15".

Christine Ducq
Jeudi 11 Avril 2019

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