La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

La tendre virtuosité vocale d’Émilie Simon

Comment dire la douleur, le manque, le néant provoqué par la disparition de l'être aimé ? Beaucoup d'artistes ont tissé la toile, la partition d'une œuvre sur cette violence faite au cœur. Le chemin que nous fait parcourir Émilie Simon en 10 chansons fait partie de ces trajectoires particulières, parfois douloureuses, souvent chaleureuses... mais indéniablement organiques.



Émilie Simon - "Franky Knight" © DR.
Émilie Simon - "Franky Knight" © DR.
Émilie Simon, avec son nouvel album "Franky Knight" - dont le titre est la traduction anglaise du nom et prénom de son compagnon brutalement disparu -, réussit un nouvel opus plein de sensibilité, d'amour et d'une incroyable tendresse vocale. Ce CD est un écrin où elle dépose dix petites pépites vocales et musicales d'une remarquable qualité, doublé de ce don très particulier qu'elle a de toujours nous surprendre.

"Franky Knight" est également la BO du film "La Délicatesse" de Stéphane et David Foenkinos avec Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini, Pio Marmaï, etc. (sortie le 21 décembre). Mais Émilie Simon avait déjà composé son album avant d’être contactée pour faire la BO du film. Ce que les réalisateurs ne savaient pas, c’est que l’histoire que raconte ses chansons sont proches de l’histoire du film : La disparition brutale de l’être aimé. En effet, Émilie a subi cette perte il y a deux ans et celle-ci a "nourri" la création de cet album.

Mix de paroles anglaises et françaises, Émilie démarre ce chemin semé de pépites parfois tristes, parfois joyeuses. Des percussions fines – le xylophone n'est pas loin -, étonnante mélopée rythmique, introduisent le 1er titre, "Mon chevalier". Cette frise percussive, petite boucle délicate, s'éteint doucement avant une complainte tendrement glissée vers des envolées orchestrales où les cuivres agissent comme un cri retenu pour dire l'essentiel du manque :
"... Au fond du ciel, je ne te vois pas, alors je prie,
Dieu me pardonne, sans croire en lui,
Je prie pour l'homme qui m'aimait tant,
que j'aimerai toute ma vie, mon chevalier..."
Tout la fine trame de l'album est, là, posée, délicatement dite.

Puis l'appel à l'amour ("I call love") qui suit nous entraîne dans la pop des sixties, marque de fabrique musicale de cet opus, Émilie Simon quittant, sans doute provisoirement, les compositions plus électro (voir album "The Big Machine"), mais lui permettant une grande variété d'orchestrations. Voix et chœur sucrés mais terriblement swinguant et envoûtant... On est prêt pour pousser nous aussi le cri de l'amour le soir au fond des bois ! "Holly Pool Of Memories", en anglais comme la chanson précédente, nous entraîne dans des souvenirs plus électriques mais dont la finesse orchestrale (cordes aériennes et piano tout en élégance) enrobe parfaitement une voix certes moins enfantine mais avec un crescendo dans les aigus du plus bel effet.

Avec "Something More", on retrouve cette facette vocale d’Émilie qui parfois la mène avec grâce dans un univers proche de celui de Kate Bush. Avec une intro très cuivrée et un piano subtilement présent sur cette balade riche en variations tonales, la voix s'envole sur des fréquences aériennes et gambade sur les nuages avec une facilité déconcertante. Comme toujours, ses choix instrumentaux habillent, avec une discrétion maîtrisée, sa voix et sont comme autant de pochettes surprises, pleines de petites trouvailles qui émerveille l'oreille, de la boîte à musique dans "Sous Les Étoiles" aux chimes, castagnettes et autres jam blocks blottis au creux de chaque composition.

La balade se poursuit avec "Bel Amour", deuxième ballade où Émilie pose, au creux de notre oreille, le murmure triste de son cœur, brodé sur le fil sobre du piano (magnifique !) et légèrement transparent de ses envolées vocales maîtrisées. La confidence est immédiatement relevée, histoire de ne pas se laisser envahir par des pensées bercées de tristesse, par le très électro pop "Franky's princess". Passage aux seventies/eighties pour swinguer rétro sur un dance floor... la richesse instrumentale et le talent en plus... Le "Tube" est prêt et les gambettes devraient se délier en live... Déconcertant mais malin... Une manière de trouver notre chanteuse espiègle là où on ne l'attendait pas forcément...

"Les Amants Du Même Jour", un instrumental construit de "Lego" sonores astucieusement assemblés, nous rappelle, si besoin était, le talent émérite de musicienne et de compositrice d’Émilie Simon. Suivi de "Walking With you" fait de la même étoffe que "Something More"... c'est à dire dans la même voie (voix) stellaire de liberté créatrice que Kate Bush ou Björk ; où les chœurs répondent sur une festive pop à sa voix de tête. Le chemin parcouru, une fois ramassées ces pépites sculptées avec délicatesse dans le cristal pur de son âme du moment, nous a dévoilé la constance d'une artiste traversant avec une légèreté parfois dense et sérieuse, parfois mutine et souriante, des thèmes ayant pour résonance le deuil, la mémoire (souvenirs), la reconstruction et l'amour. Ce dernier se trouve admirablement illustré avec "Jetaimejetaimejetaime" qui sont "les seuls mots qui me viennent", comme pour clore cette déclaration d'aimer... pour remplir l'absence, combler le vide, comme pour affirmer la conviction positive, optimiste que penser, nommer, dire... peut faire exister ce qui n'est plus. "Franky Knight" est un disque optimiste par ce qu'il nous dit de la force de l'amour et de vie... l’œuvre d'une artiste au seuil de l'excellence !

● CD Émilie Simon "Franky Knight". Sortie le 05/12/2011.
Label : Végétal/Barclay. Distribution : Universal Music France.

Gil Chauveau
Samedi 10 Décembre 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023