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Théâtre

"La Paix dans le monde" La preuve vivante et remarquablement incarnée que l'amour est plus fort que tout

"La Paix dans le monde", pièce écrite et mise en scène par Diastème, c'est une aventure entamée il y a vingt ans avec deux autres pièces, "La Nuit du thermomètre" et "107 ans". Simon et Lucie en sont déjà les deux personnages principaux.



© Mathieu Morelle.
© Mathieu Morelle.
Aujourd'hui, forcément, ces deux personnages ont vieilli mais la passion que Simon voue à Lucie est restée intacte. Il vit en Suisse, à quelques kilomètres de la maison de Charlie Chaplin. Il lit des livres. Il fait du feu. Il ne voit pas le temps passer.

Mais, avant tout, il se prépare au jour où il retrouvera Lucie après toutes ces années où il est resté sans la voir ni l'entendre. Car il est amoureux fou de cette femme depuis toujours. Fou au sens littéral du terme puisque la société l'a jugé fou. Parce qu'il a fait des folies. Lucie aussi sans doute car ces deux êtres-là se sont rencontrés dans un hôpital psychiatrique.

Ils ont été séparés par les choses de la vie, mais Simon est transporté encore et encore par cet amour indéfectible qu'il lui voue et qui ne quitte jamais son esprit. Pas un jour sans qu'il ne converse avec elle, comme si de rien n'était. Cet amour pourrait revêtir les allures d'une obsession, mais il n'en est rien ! Il s'agit d'un amour hors norme, singulier, effrayant, comique et formidablement bouleversant.

© Mathieu Morelle.
© Mathieu Morelle.
Car celui-ci fait partie de ces personnes riches et "heurtées" que la violence de la vie n'a pas évitées. Alors, il fait avec, vit avec ses fantômes et ses souvenirs, comme un ermite dans une ascèse volontaire qui berce son esprit. Tout chez lui est millimétré et le fil salvateur de plus sur lequel il vit, il se l'est lui-même tissé jour après jour, minutieusement et avec une grande persévérance. Un jour après l'autre, comme le disent les alcooliques. Chaque jour avec ses horaires bien réglés, ses habitudes, ses repères indispensables.

Pour garder la tête haute et continuer à avancer. Pour que " ça " ne dérape pas.
Mais attention : interdiction d'approcher Lucie ! C'est ce qu'on lui a dit. Garder ses monstres à distances, leur parler pour les assoupir, faute de pouvoir vraiment les dompter…
Garder la distance, à chaque moment, est un travail auquel il se livre corps et âme.

Simon n'est pas dupe de son état. Il est conscient de sa folie, il se connaît très bien. Ses années d'internement, il ne les a pas oubliées et le travail avec son psy est bien tangible, bien réglé lui aussi. Bardé d'une singularité toute particulière et d'un humour subtil, Simon est un personnage flamboyant qui affiche une vision éclairée du monde sans se dérober un seul instant à lui-même.

"La Paix dans le monde" est une pièce magistralement interprétée par le comédien Frédéric Andrau. C'est un seul en scène d'une heure vingt au cours duquel le spectateur est littéralement happé. D'aucuns pourraient craindre ce genre de "texte monologue" psalmodié comme une litanie envoûtante. Ici, c'est au contraire la quintessence du théâtre dans ce qu'il a de plus jouissif et transcendant.

© Mathieu Morelle.
© Mathieu Morelle.
Mais qui de la force du texte ou du jeu talentueux du comédien explique une telle impression hypnotique ? Le texte emporte le spectateur dans des méandres insoupçonnés d'émotions palpables et la présence sur scène de l'acteur tout en sobriété et délicatesse achève de faire de ce moment de spectacle un moment exceptionnel.

Le public est pris comme confident et se laisse emporter par le fleuve de la parole sans en perdre une miette. La logorrhée à laquelle Simon invite le spectateur est un voyage sublime vers ses sphères intérieures empreintes d'une poésie bien sensible.

Derrière ses petites lunettes rondes et jouant d'un bonnet bleu-marine en laine, Frédéric Andrau oscille avec grâce autour d'un grand cube de bois rectangulaire modulable pensé et réalisé en étroite collaboration avec Diastème par Alban Ho Van. On dirait un jeune enfant fragile qui manipule ses jouets avec une grande dextérité de peur que tout s'écroule… Le tout est subtilement éclairé par le travail de Vanessa Filho. Chaque spectateur pourra voir dans cette scénographie ce qu'il désire : les souvenirs de Simon malléables à merci, son enfermement, ses espoirs parcellaires…

On peut s'interroger en revanche sur les projections filmées du personnage de Lucie interprété par Emma de Caunes et se demander si la force magistrale du simple texte sublimé par le talent sans failles de Frédéric Andrau n'aurait pas suffi à ce moment de théâtre remarquable.

Au terme de la pièce, le spectateur sort de la salle joliment groggy par ces "mots confidences" qui l'ont emporté. C'est dans une espèce d'état hypnotique qu'il retrouve la réalité, bien malgré lui…Mais Simon finira-t-il par retrouver à nouveau Lucie ? Leur correspondance via Facebook aboutira-t-elle à leurs retrouvailles ?

"La Paix dans le monde"

© Mathieu Morelle.
© Mathieu Morelle.
Seul en scène.
Texte : Diasdème.
Mise en scène : Diastème.
Avec : Frédéric Andrau et la participation cinématographique d'Emma de Caunes.
Lumières : Stéphane Baquet.
Scénographie : Alban Ho Van.
Costumes : Frédéric Cambier.
Images : Vanessa Filho.
Musique : Cali - Chanson "Je ne vivrai pas sans toi" ( 2e album "Menteur").
Compagnie : La Main Gauche.
Durée : 1 h 20.

Du 1er au 30 octobre 2021.
Du mercredi au samedi à 19 h.
Théâtre Les Déchargeurs, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 02.
>> lesdechargeurs.fr

Brigitte Corrigou
Mercredi 13 Octobre 2021

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© Betül Balkan.
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