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Théâtre

"L'Aquoiboniste" Une immersion transcendante dans le pouvoir de la vie après la mort

À la suite d'un choc tant physique qu'émotionnel provoqué par une crise de catalepsie, un homme n'arrive plus à être présent à sa propre vie. Il se réveille et entend sa jeune épouse vaquer autour de lui… Soudain, elle s'approche et le déclare mort ! Il va être enterré vivant, mais il continue à percevoir les voix et l'agitation qui l'entourent. Son corps est peut-être mort, mais sa tête, elle, est bien vivante. Est-ce vraiment la mort, ce vaste singulier état de torpeur, cette chair frappée d'immobilité tandis que l'intelligence fonctionne toujours ?



© Cédric Vasnier.
© Cédric Vasnier.
Redécouvrir l'univers de Zola par le biais de ce spectacle, dans la petite salle de la Scène Libre, boulevard de Strasbourg à Paris, a été pour nous un réel moment de bonheur, feutré et littéralement suspendu. Fort heureusement, les échos du spectacle de Chantal Ladsou au-dessus de nos têtes n'ont pas fait irruption jusqu'à nous ! Ni le tumulte du boulevard. Cela aurait été fort regrettable car "L'Aquoiboniste" nous plonge dans un véritable huis clos immersif et pour le moins bouleversant !

Qu'est-ce que cela changerait dans notre vie si nous étions déclarés mort, juste quelques heures ? Cette expérience étrange, Olivier Bécaille va la vivre en découvrant toutes les étapes qui lui permettront la disparition de ses peurs, son retour à la lumière, puis à la joie. Si cela pouvait s'avérer bien réel et cliniquement prouvé, en dehors de la simple littérature, nous pourrions être preneurs !

Dès les premiers instants de ce seul en scène admirablement interprété par Bertrand Skol, comédien élu, en 2022, meilleur premier rôle aux Cyrano, le spectateur est comme littéralement envahi par une ambiance indéfinissable. Mais, à vrai dire, est-ce vraiment un seul en scène, d'ailleurs, tant, tout au long du spectacle, le dialogue texte musique et les lumières sont soigneusement imaginés : création musicale d'Olivier Mellano et lumières de Johanna Legrand. La revisite de la nouvelle de Zola et le talent de Jean-Benoît Patricot, auteur de la pièce et metteur en scène, achève d'apporter à l'ensemble une virevoltante composition.

© Cédric Vasnier.
© Cédric Vasnier.
"Une chose étrange et merveilleuse m'est arrivée lorsque j'ai lu cette nouvelle, c'est que j'ai physiquement ressenti, de manière forte, une autre histoire. Tout autre (…). Se retrouver veuf, encore jeune, est une expérience que j'avais en commun avec Bertrand. Il a lu la nouvelle de Zola et a éprouvé le même ressenti que moi. À partir de là, j'ai voulu retranscrire dans ma libre adaptation ce cheminement vers un autre possible malgré la perte d'un être aimé", indique Jean-Benoît Patricot.

Et si, à bien y regarder, ce spectacle convoquait aussi, derrière les talents incontestables de Bertrand Skol dans le jeu et Jean-Benoît Particot à l'écriture et la mise en scène, le pouvoir de la création artistique !

Tous les arts ne contribuent-ils pas au plus grand de tous les arts : celui de vivre ?
Et il est bien question de vivre dans cette libre adaptation de Zola, quand bien même, c'est de la mort dont il est question. Mais quelle mort, à vrai dire ? Le comédien s'empare avec brio ce besoin de vivre, vivre, vivre et a pris, de toute évidence, à bras-le-corps l'interprétation fine et sensible qu'a faite dans son adaptation son metteur en scène.

"Retrouver la force et la lumière qui ont pu déserter la vie, continuer à vivre, à aimer et, surtout, parvenir à admettre l'impensable", Jean-Benoît Patricot.

Avant même que ne commence le spectacle, le visage grimaçant de Bertrand Skol et son immobilisme, "allongé" sur un grand lit blanc à la verticale nous interpelle. Puis, très vite, le récit prend forme, suscite en nous de fortes émotions et nous embarque dans de multiples évocations toutes plus saisissantes les unes que les autres. Le jeu de Bertrand Skol, qui virevolte sur le plateau autour d'une mise en scène minimaliste, mais largement suffisante, est exceptionnel de virtuosité. Son texte, maîtrisé de façon déroutante, est comme une logorrhée qui nous transporte au-delà de ce que pouvions imaginer de nos capacités émotives…

Un joyau de jeu et création théâtrale à ne rater sous aucun prétexte.
"À quoi bon", penserez-vous peut-être, d'aller assister à ce spectacle ? Courez-y pour y trouver votre propre réponse, à coup sûr.

"L'Aquoiboniste"

© Cédric Vasnier.
© Cédric Vasnier.
Texte : Jean-Benoît Patricot.
Librement inspiré de "La mort d’Olivier Bécaille" de Zola.
Mise en scène : Jean-Benoît Patricot.
Avec : Bertand Skol.
Musique originale : Olivier Mellano.
Lumières : Johanna Legrand.
Voix off : Salomé Villiers, Tessa Volkine et Olivier Pajot.
Spectacle déconseillé aux moins de 14 ans.
Durée : 1 h 10.

Du 1er février au 24 mars 2024.
Jeudi, vendredi et samedi à 21 h, dimanche à 19 h.
Théâtre La Scène Libre, Paris 10e, 01 42 38 97 14.
>> le-theatrelibre.fr

Brigitte Corrigou
Jeudi 8 Février 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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Gil Chauveau
14/06/2024
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© Betül Balkan.
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