La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

Jonas Kaufmann, The Puccini Album

Après Wagner et Verdi, le ténor allemand dédie un album entier à Giacomo Puccini, le plus grand compositeur italien de la deuxième partie du XIXe siècle. Avec seize extraits enregistrés à Rome, choisis parmi onze opéras du Maître né à Lucques, l'un des meilleurs chanteurs de son époque ouvre, à quarante-six ans, un nouveau chapitre passionnant de sa carrière.



Jonas Kaufmann l'a dit et répété (1), il ne veut pas être catalogué dans un univers musical et le succès ne doit pas être une prison. Il ne sera pas Werther ou Don José de toute éternité et c'est une nouvelle facette de son talent (qu'il a immense) qu'il veut présenter à son public.

C'est dans cet esprit que sort l‘album Puccini, compositeur qu'il admire pour la richesse de son écriture vocale et orchestrale, sa modernité. Ainsi, loin de l'album des débuts de la gloire présentant un programme composite d'airs et de compositeurs (2) - dont il ne veut plus -, il s'agit comme pour les deux précédents CD (consacrés à Wagner et Verdi) de souligner continuité et évolution d'inspiration et de création dans l'œuvre d'une vie.

Comment se répondent et se développent idées et métier dans des opéras tous excellents, des débuts en 1884 avec "Le Villi" au dernier inachevé à la mort du compositeur en 1924 "Turandot" -, ce dernier au carrefour ambigu d'un art déjà ancien (celui du grand opéra) et d'une écriture harmonique parfois d'avant-garde, témoignant de sa connaissance de Wagner et de Schoenberg. Puccini était allé écouter le "Pierrot lunaire" de ce dernier pendant sa composition.

Le choix de présenter d'abord quatre airs de "Manon Lescaut" (1893) - qui se taille donc la part du lion dans le CD -, puis de chanter de un à deux extraits d'opéras chronologiquement présentés répond bien-sûr à ce vœu de révéler un cheminement. Les deux airs d'un opéra de 1910, qui connut longtemps un relatif purgatoire, "La Fanciulla del West", se retrouvent ainsi quasiment au milieu de l'album aux pistes dix et onze afin d'en mieux récapituler les richesses. Tel cet incroyable air d'adieu de l'acte III au moment où Dick Johnson va être pendu.

Le ténor, fameux pour sa voix au grain de ténèbres et son timbre incisif comme pour sa capacité formidable d'engagement dramatique, s'est donc tout naturellement coulé dans l'univers de Puccini, ce grand maître de l'expression lyrique. Il chante Mario Cavaradossi et Des Grieux sur scène depuis un moment. Mais des engagements futurs se dessinent ici : il sera le Calaf de "Turandot" dans quelques années (1). Ses qualités de phrasé, d'articulation et les prestiges de sa ligne de chant sont proverbiaux.

Mais la voix a naturellement évolué dans le bronze d'une bravoure à toute épreuve, d'une carnation plus héroïque, capable encore des ténuités magiques qu'on lui connaît déjà pour exprimer les abîmes de l'amour avec une parfaite intelligence du texte ("Ah ! Manon mi tradisce"), ses tourments (avec cette fort belle page de "Le Villi" et son douloureux "Torna ai felici di"), ses aveux (à Minnie dans "La Fanciulla") ; mais aussi la folie, la détermination casse-gueule dans l'Everest que constituent les deux grands airs de Calaf aux actes I et III - dont ce "Nessun dorma" (sous-titre du CD) -, magistraux tant techniquement qu'émotionnellement.

Le disque recèle d'autres trésors comme la superbe lamentation révoltée du déchargeur de "Il Tabarro" (1918 - un des opéras en un acte choisis ici, extraits du "Triptyque" avec "Gianni Schicchi") et ce "Recondita armonia" de l'acte I de "Tosca" (1900), véritable hommage autotélique aux "contrastes magnifiques" de la voix du ténor. Seule interrogation : pourquoi Jonas Kaufmann n'a-t-il pas gravé le sublime "E lucevan le stelle" de l'acte III de "Tosca" ?

Enregistré avec l'orchestre et le chœur de l'Accademia nazionale di Santa Cecilia sous la direction du complice de toujours (et chef principal de l'orchestre) Antonio Pappano - impeccable -, cet opus fiévreux et capiteux séduit, enchante, bouleverse. Du grand art.

Notes :
(1) Conférence de presse du 9/08/2015 aux Chorégies d'Orange.
(2) CD "Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner" chez Decca.

● Jonas Kaufmann "Nessun dorma - The Puccini Album".
Jonas Kaufmann, ténor.
Antonio Pappano, direction.
Orchestre et Chœur de l'Accademia nazionale di Santa Cecilia.
Sortie : 11 septembre 2015.
Label et distribution : Sony Classical.

Récital Puccini le 29 octobre 2015.
Théâtre des Champs-Elysées, 01 49 52 50 50.
15, avenue Montaigne, Paris 8e.
>> theatrechampselysees.fr

Tournée, concerts, opéras :
>> jonaskaufmann.com

Christine Ducq
Mardi 15 Septembre 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024