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Théâtre

"Irrésistible"… Mesurer avec humour l'incontestable avancée des femmes dans la jungle patriarcale

Dernier volet d'une trilogie commencé avec "Les Jeanne", premier spectacle féministe fantaisiste*, poursuivit avec "Crue et nue" (2013), "Irrésistible" d'Éva Darlan nous parle de l'histoire du patriarcat, de ses exceptions et de l'inéluctable évolution conduisant à une égalité future. Mêlant un sérieux documentaire et l'humour grinçant, mais toujours espiègle, elle part des origines de l'humanité pour traverser notre Histoire jusqu'à notre société actuelle (féminicides, #Metoo, etc.) pour mettre en exergue ce que furent les bases de l'inégalité et, avec intelligence et pertinence, définir ce qu'est "être une femme" dans le monde d'aujourd'hui.



© Olivier Clertant.
© Olivier Clertant.
Partant de la préhistoire en compagnie de l'incontournable mâle chasseur et de la perspicace femelle cueilleuse - il faut l'être pour ne pas ramasser n'importe quoi -, Éva Darlan va détailler, avec finesse et drôlerie, différentes étapes qui ont généré, conforté ou amplifié le pouvoir masculin. Rappelant le cheminement de la supériorité absolue de l'homme avec l'arrivée des religions, elle n'omettra pas non plus de se référer au "féminisme radical" qui considère la domination patriarcale comme un problème en soi qui doit être traité de façon autonome et non, comme le pensait Friedrich Engels, en tant que conséquence de la domination capitaliste. Dans cette exploration bien informée, passeront quelques courts exposés instructifs, parfois croustillants, allant de Cro-Magnon à Napoléon, en passant par les babouins et les Iroquois notamment.

Sans toutes les raconter, rapportons ici quelques délicieuses anecdotes caractéristiques ô combien pleines d'enseignements - choisies par la talentueuse et néanmoins investigatrice Éva - qui démontre que, non, la domination masculine n'est pas inéluctable… comme le prouvent les Iroquoises, les Moso ou les Na… ou la preuve par l'exemple !

© Olivier Clertant.
© Olivier Clertant.
Concernant les premières, elles sont supérieures aux hommes malgré leur puissance de ces derniers. Il s'agit d'une société matrilinéaire (filiation qui vient de la mère) et matriarcale. Les enfants appartiennent au clan de leur mère et vivent avec la famille maternelle dans la "maison longue". Celle-ci est d'ailleurs dirigée par la mère de clan qui est la femme la plus âgée. Les mères choisissent les chefs civils qui sont des hommes. Même chose chez les Moso qui forment également une société matrilinéaire (les enfants sont rattachés au groupe parental maternel, qui les élève, leur transmet le nom et l'héritage), matrilocale (les femmes sont au centre de leur famille et ne la quittent pas pour rejoindre leur conjoint après une union) et avunculaire (la paternité des enfants est exercée par leur oncle maternel).

Enfin, les Na de Chine sont une ethnie où il n'y a ni père ni mari. Agriculteurs sur les contreforts de l'Himalaya, ils ont toujours vécu jusqu'à maintenant sans l'institution du mariage. Durant toute leur vie, frères et sœurs partagent le même feu et le même pot et élèvent ensemble les enfants des femmes. Les femmes tiennent toute l'économie et transmettent tout à leur fille. Liberté sexuelle totale. Pas de jalousie. Comme dans nos sociétés, l'inceste est prohibé. Aussi les Na pratiquent-ils un système de visite nocturne, furtive ou ostensible, de l'homme chez la femme. Si une femme est enceinte, c'est son frère qui s'occupe de son enfant.

Pour construire son texte et les différentes séquences le composant, Éva Darlan s'est remarquablement bien documentée faisant de son spectacle une création riche d'informations puisées dans l'Histoire - la nôtre avec un grand H (mais écrite majoritairement par des hommes) - mais aussi dans les œuvres et essais de philosophes, d'écrivaines ainsi qu'en puisant dans le récit des heurs et malheurs actuels (viols, féminicides, disparités et inégalités de tous ordres, etc.) rendant sa dynamique seule scène fort instructive, voire carrément à haute portée pédagogique que les mâles encore vrombissants au machisme exacerbé - toutes générations confondues - devraient voir… mais pas que ! Toutes filles et femmes aussi, féministes ou pas, tant la dame talentueuse et passionnée sait raconter les histoires… et que ces dernières devraient fortifier l'irrésistible avancée des femmes en cours.

Ainsi, le mouvement amorcé ne s'arrêtera pas. Petit à petit l'égalité se fera. Portée par les combats actuels et par les générations à venir.

* "Les Jeanne" ou ("Les 3 Jeanne") est un trio regroupant Martine et Éliane Boëri et Chantal Pelletier. Celles-ci sont rejointes par Éva Darlan et, ensemble, elles créent leur premier spectacle ("Je te le dis Jeanne c'est pas une vie la vie qu'on vit") en 1976 dans la petite salle de la Pizza du Marais, connu aujourd'hui sous le nom de Théâtre des Blancs-Manteaux.

"Irrésistible"

© Olivier Clertant.
© Olivier Clertant.
Texte : Éva Darlan.
Mise en scène : Éva Darlan, assistée de Sébastien Durand.
Avec : Éva Darlan.

Samedi 23 septembre 2023.
À 21 h.
4e édition du Festival Saisons d'Elles
Place Les Pradettes, Toulouse (31).
Association Folles Saisons, 05 62 14 64 85.
>> follessaisons.com

Gil Chauveau
Mercredi 20 Septembre 2023

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024