La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2019

•In 2019• La Maison de Thé Un thé rebelle… à l'infusion…

Une colossale, monumentale, géantissime (on pourrait poursuivre...) installation d'une roue (de la fortune… eu égard à l'astronomique coût) occupe, sur tout son espace, l'immense plateau de l'Opéra Confluence aux portes d'Avignon. Cette construction métallique à prétention "eiffelique", sensée représenter la Maison de Thé, a l'effet de nous en mettre plein la vue… et sur ce point c'est amplement réussi : moins que de dénoncer les dérives de la Chine capitaliste actuelle, elle ne fait que renforcer son désir d'hégémonie.



© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
À l'unisson, la musique électro-rock jouée en live nous en met plein les tympans, il est vrai déjà saturés par les vociférations des actrices et acteurs projetant droit devant eux leur texte en Chinois que des surtitrages latéraux défilant à une vitesse supersonique ne permettent aucunement d'attribuer à leur locuteur.

Sur trois époques, trois générations éructent face à la salle. Et il en est brassé des thèmes, un peu comme on brasse à l'envi du vent. Le grand classique du théâtre chinois qui donne son titre à la pièce (montée… comme un gâteau mielleux), écrit en 1956 par Lao She qui, dix ans plus tard, finira "suicidé" par la Révolution culturelle, mêlé aux "extraits" de Fiodor Dostoïevski et Bertolt Brecht (des grands parmi les grands), tous convoqués pour exhiber au vu et au su de l'occident la profondeur du propos. Un détournement patent de fonds.

À l'arrivée, après avoir "rencontré" la figure de la féministe résistante à une société où les paysans pauvres vendent leur fille à des maîtres riches qui en disposeront à leur guise en lui assurant au passage pitance et habits de séduction, la figure de l'entrepreneur soucieux du rendement économique de son pays ou encore celle du patron de la Maison de thé qui veille à ce que soient bannis de son institution tous les sujets susceptibles de déplaire à l'ordre établi, on reste sur notre faim…

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
En effet, les questions abordées mériteraient un traitement plus poussé que le parti pris grandguignolesque - ce dernier serait-il esthétiquement spectaculaire - qui fleure à bon compte la resucée. Ainsi il en est du découpage à la tronçonneuse d'un corps féminin en celluloïd avec projection d'hémoglobine ou du tri de bébés jouets considérés comme de la marchandise. Alfred Jarry et son père Ubu, Bertolt Brecht et son réalisme résolument grotesque, ne peuvent être singés sans dégâts collatéraux.

Ce dispositif conçu comme une cage de Faraday isolant de la réflexion - tant l'agression sonore et le manque de soin apporté à la lisibilité des propos sont (dé)flagrantes -, à force de se vouloir complexe en devient par trop simpliste. S'imprime l'esbroufe ostentatoire propre à occulter le sens recouvert par un déluge qui le noie plus qu'il ne le fait entendre… Cependant, quelques moments semblent plus convaincants.

Celui où la dérision, érigée en manifeste révolutionnaire dadaïste, montre un groupe mi-nu sous une bâche, recevant des litres d'hémoglobine sur la tête, et proférant un texte iconoclaste. "En hommage à ma chaussette gauche, à l'abattant des wc, à Shakespeare, à Brecht, à la création, et à l'orgasme. (…) Quand je prendrai un couteau de boucher, je vous tuerai. Vive la Haine !". La référence implicite au théâtre expérimental libertaire du Living Theatre de Julian Beck crève la vue et les tympans… La copie de ce qui fut un événement dans le monde de l'art, bouleversant en profondeur l'idée de théâtre, reste cependant bien plus pâle - malgré ses outrances - que l'original.

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Celui encore où, sobrement assis sur le devant de la scène où il a été oublié par ses fervents camarades de "l'improvisation théâtrale", le personnage maître des lieux, se lance au téléphone (avec John Lennon, pas Lénine précise-t-il) dans une diatribe "éclairée"… sur la pièce qu'il est en train de jouer. Théâtre dans le théâtre, il met en abyme ce que le spectateur ressent.

"… même moi je ne sais pas ce que je joue. Tu crois qu'ils comprennent la pièce ? Non, ils ne sont pas cons. Je ne veux pas rester là à faire le pitre, comme un gosse pour attirer l'attention. La grande roue de la scénographie, c'est pour nous tourner la tête : assister à un spectacle, c'est prouver que vous avez de la culture, ça vous confère de la valeur". Le second degré révèle - hélas - le premier…

La débauche de moyens techniques et financiers mobilisés pour produire cette forme est à l'image de la Chine actuelle. Même ceux qui prétendent, en convoquant des écrivains au-dessus de tout soupçon dénoncer les dérives ultra-libérales et financières d'une dictature hautement toxique (cf. la censure de leur internet sur les événements de la place Tiananmen et le sort réservé aux dissidents), se font in fine les chantres de ce Régime en en reproduisant les accès d'une mégalomanie délirante.

Destiné à "impressionner", le déluge de puissance sonore et visuelle s'appuyant sur un budget démentiel en regard des budgets alloués aux autres spectacles, aboutit non à secouer nos indifférences mais à nous assommer au sens propre du terme… sauf à fuir, si l'on s'en réfère à l'hémorragie de spectateurs "avertis".

"La Maison de thé"

© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud De Lage/Festival d'Avignon.
Texte : d'après Lao She.
Adaptation : Meng Jinghui
Mise en scène : Meng Jinghui.
Avec : Chen Lin, Chen Minghao, Ding Yiteng, Han Jing, Han Shuo, Li Jianpeng, Li Jingwen, Liu Chang, Liu Hongfei, Qi Xi, Sun Yucheng, Sun Zhaokun, Tian Yu, Wang Xinyu, Wei Xi, Zhao Hongwei, Zhang Hongyu, Zhang Juncheng, Zhang Zhiming ;
et Li Xiaojun (chant), Li Yibo (batterie), Wang Chuang (guitare et basse).
Dramaturgie : Sebastian Kaiser.
Musique, Hua Shan, Shao Yanpeng, Nova Heart.
Scénographie, Zhang Wu.
Lumière, Wang Qi.
Vidéo, Wang Zhigang.
Son, Hua Shan.
Costumes, Yu Lei.
Assistant à la mise en scène, Li Huayi.
Production Meng Theatre Studio.
Coproduction Hybridités France-Chine.
Avec le soutien du Ministère de la Culture et du tourisme de la République populaire de Chine, Sinoac Group.
Résidence Wuzhen Theatre Festival.
En partenariat avec France Médias Monde.

•Avignon In 2019•
Du 9 au 20 juillet 2019.
A 20 h, relâche les 11 et 17.
Opéra Confluence
Place de l'Europe.
Réservations : 04 90 14 14 14.
>> festival-avignon.com

Yves Kafka
Samedi 13 Juillet 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022







À découvrir

"Othello" Iago et Othello… le vice et la vertu, deux maux qui vont très bien ensemble

Réécrit dans sa version française par Jean-Michel Déprats, le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l'envi les arcanes des comportements humains. Quant à la mise en jeu proposée par Jean-François Sivadier, elle restitue - "à la lettre" près - l'esprit de cette pièce crépusculaire livrant le Maure de Venise à la perfidie poussée jusqu'à son point d'incandescence de l'intrigant Iago, incarné par un Nicolas Bouchaud à la hauteur de sa réputation donnant la réplique à un magnifique Adama Diop débordant de vitalité.

© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

L'humour (parfois grinçant) n'est pour autant jamais absent… Ainsi lors du tableau inaugural, lorsque le Maure de Venise confie comment il s'est joué des aprioris du vieux sénateur vénitien, père de Desdémone, en lui livrant comment en sa qualité d'ancien esclave il fut racheté, allant jusqu'à s'approprier le nom d'"anthropophage" dans le même temps que sa belle "dévorait" ses paroles… Ou lorsque Iago, croisant les jambes dans un fauteuil, lunettes en main, joue avec une ironie mordante le psychanalyste du malheureux Cassio, déchu par ses soins de son poste, allongé devant lui et hurlant sa peine de s'être bagarré en état d'ébriété avec le gouverneur… Ou encore, lorsque le noble bouffon Roderigo, est ridiculisé à plates coutures par Iago tirant maléfiquement les ficelles, comme si le prétendant éconduit de Desdémone n'était plus qu'une vulgaire marionnette entre ses mains expertes.

Yves Kafka
03/03/2023
Spectacle à la Une

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
07/04/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022