La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Hanokh Levin : le duel de l'enfance et du Mal

À l'occasion du "Festival des Écoles du théâtre public" à la Cartoucherie, les élèves de l'EDT 91* ont présenté "L'Enfant rêve" de Hanokh Levin. Entre violence et innocence, entre abjection et poésie, cette pièce a permis aux jeunes comédiens d'éprouver toute la complexité du jeu scénique. Une expérience très prometteuse pour le théâtre de demain.



EDT 91 dans "L'Enfant rêve" de Hanokh Levin © Xavier Gruet
EDT 91 dans "L'Enfant rêve" de Hanokh Levin © Xavier Gruet
Théâtres de l'Aquarium, de l'Epée de bois, de la Tempête : pour la seconde année consécutive, ces trois salles s'associent pour faire place à la nouvelle génération des défenseurs d'un théâtre public de création. Une initiative précieuse dans un contexte de crise des institutions culturelles, qui rend exceptionnel l'accès des élèves à une vraie salle de spectacle, à un vrai public. La qualité de la représentation de L'Enfant rêve suffit à prouver le bien-fondé d'une telle initiative. Les autres propositions sont tout aussi alléchantes : La Noce de Brecht, La Supplication de Svetlana Alexievitch, Phèdre de Sénèque... Des œuvres majeures pour soixante-dix étudiants en cours ou en fin de formation issus de six écoles différentes.

Parmi les plus jeunes, figurent les quinze membres de la promotion de l'EDT 91*, lieu atypique qui offre une formation en deux ans et la possibilité de postuler ensuite aux diverses écoles supérieures. Mise en scène par Antoine Caubet, artiste associé du Théâtre de l'Aquarium, cette promotion a su honorer le superbe texte de l'Israélien Hanokh Levin. Avec pudeur et sobriété, dans une esthétique qui oscille entre un réalisme cru, à la limite de l'obscène, et un onirisme éthéré. Grâce à cet équilibre, le général manque de maturité du jeu de ces jeunes acteurs est atténué. Mieux, il est mis à profit. La candeur, la légère maladresse des interprètes accentuent les nuances et le paradoxe central de la pièce.

Comment continuer à vivre, comment continuer à rêver alors que toute morale et toute humanité s'effondrent ? Obsédante, cette question traverse d'autant mieux la tragédie qu'elle est portée par de très jeunes personnes. Car l'ensemble du personnel dramatique semble peu ou prou contaminé par la candeur de la figure centrale, l'enfant. Avec Yacine Salhi dans le rôle principal et Nora Nagid dans celui de la mère, la première scène s'ouvre sur une antithèse saisissante. Penchée sur le visage de son fils endormi, une femme proteste. Il faut laisser le petit se reposer, c'est pendant le sommeil que se forge l'intelligence et la personnalité... Mais les soldats qu'elle interpelle, tenus de faire évacuer la population amassée, ne l'entendent pas ainsi. La guerre s'installe et chacun doit se soumettre à ses lois. Déjà, la pureté fait face à la sauvagerie. Un duel acharné se profile, dont on imagine déjà la fin terrible.

Unis par une même posture, plutôt calmes, l'air d'être détachés de leurs actes, les comédiens ne marquent que très peu le contraste entre les différentes forces qu'ils incarnent. Parti pris ou faiblesse du jeu ? Un mélange des deux, sans doute. Toujours est-il que cette douceur assez homogène donne au tout l'aspect d'un songe, d'une irréalité. Tous évoluent sur scène avec l'attitude de dormeurs éveillés, un peu perdus dans un univers qui les dépasse. La fuite de la mère et de l'enfant, leur refuge sur un bateau sensé les éloigner de l'horreur paraissent émerger d'un épais brouillard. La sensation de voir à travers le regard de l'enfant, plein d'imagination et d'espoir, est alors très forte.

L'irruption de la guerre dans le monde du personnage central ne parvient pas à détruire la fantaisie propre à la jeunesse. Aussi, quand des scènes poétiques viennent briser la progression de l'atrocité, les quinze comédiens excellent. Une ronde collective avant le départ fatal, une chanson pour attendrir les persécuteurs... Ces moments de respiration sont comme des pieds de nez à une réalité trop dure. Les acteurs s'y rassemblent, y trouvent une belle cohésion grâce à des déplacements chorégraphiés. Plus les protagonistes cheminent vers la mort, plus l'abstraction domine. Tant dans la mise en scène que dans le jeu. Le tableau final, un groupe d'enfants morts qui accueille le héros, clôt avec majesté la marche inéluctable vers le rêve et l'au-delà.

Absence de décors, costumes presque intemporels : rien ne vient situer l'histoire dans le temps. Si l'on devine une allusion au conflit israélo-palestinien, c'est du seul fait de l'origine de l'auteur et de son habitude d'évoquer cette situation. Avec l'aide d'Antoine Caubet, les élèves ont donc réussi à restituer toute la subtilité de l'œuvre de Hanokh Levin.


* École Départementale de Théâtre du 91 (Corbeil-Essonnes).

"L'enfant rêve"

Hanokh Levin : le duel de l'enfance et du Mal
(Vu le 25/06/2011)

Texte : Hanokh Levin.
Mise en scène : Antoine Caubet.
Avec : Deborah Anvers, Gautier Boxebeld, Christophe Caillot, Mathilde Carreau, Justine Ferrand, Laurent Franchi, Carla Gondrexon, Eva Grenier, Fanny Jarlot, Julia Leleux, Nora Nagid, Lucille Paquis, Quentin Robert, Yacine Salhi, Elsa Sanchez.
Lumière : Xavier Gruel.
Son : Frantz Laimé.
Régie plateau : Christian Bouyssoux et Jacques Coriton.

Festival des Écoles du Théâtre public.
Jusqu'au 2 juillet 2011.
Théâtres de l'Aquarium, de la Tempête et de l’Épée de Bois.
Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e.
Réservations : 01 43 74 99 61.
http://www.theatredelaquarium.net/la-cartoucherie

Anaïs Heluin
Mardi 28 Juin 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024