La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Festival Trente Trente "Every drop of my blood", "Se faire la belle", "Today is beautiful day", la quête d'identité est un sport de combat…

Soirée répartie en deux temps (l'un à L'Atelier des Marches, l'autre à La Manufacture CDCN) tissés du même fil rouge : le combat à jamais inaccompli pour naître à soi-même. Tenter "sans force et sans armure" de s'extraire des assignations sociétales nous ayant servi de moules, telle est la quête de ces formes chorégraphiées… à l'impact inégal.



"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
"Every drop of my blood". Cette étape du projet porté superbement par la chorégraphe et danseuse russo-française Nadia Larina nous immerge dans une installation plastique "habitée" par deux interprètes, danseur et danseuse et un musicien, les trois - dans une première partie déjà très aboutie - accompagnés au plateau de spectateurs anonymes "figurant" les voix enregistrées d'autres anonymes.

Laboratoire de création à vue, les interprètes se confrontent au plafond et parois de verre de deux cubes desquels ils vont tenter de s'extraire. La pression des résistances, offertes par les assignations leur "ordonnant" la place contrainte figurée par l'espace réduit des mobiles dans lesquels ils se meuvent, est telle que leurs mouvements empêchés rendent compte à eux seuls des pesanteurs à soulever pour tenter d'advenir hors des prescriptions normées.

"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
Combat dantesque rythmé par la musique en live rendant palpable le poids des héritages d'un patriarcat ayant colonisé les têtes, cette mise en corps des oppressions incorporées renvoie bouler le discours dominant érigeant la binarité des sexes en gardienne de l'ordre établi. Dans une seconde partie - à élaguer peut-être - ce sont les interprètes eux-mêmes qui se font les porte-paroles de terribles petites phrases communes à connotation insidieuse.

Présentant les moments très forts d'un projet exigeant tant au niveau de sa réalisation chorégraphiée, de son interprétation investie, que de sa genèse documentée (travail théorique, autour de "Je suis un monstre qui vous parle" de Paul B. Preciado, et recherche de terrain, avec des rencontres en amont de personnes "ayant à dire sur le sujet"), "Every drop of my blood" a tout pour séduire un public en quête d'émotions artistiques fécondes.

"Se faire la belle" © Pierre Planchenault.
"Se faire la belle" © Pierre Planchenault.
"Se faire la belle". Si en 2019, dans ce même Festival Trente Trente, Leïla Ka nous avait littéralement subjugués avec son "Pode Ser" (peut-être) révélant la quintessence de l'art en mouvement, depuis elle n'a cessé de nous surprendre en imposant sa force fragile dans ses chorégraphies à haute valeur subversive où la revendication d'être soi s'accompagne d'une rage salvatrice. Ainsi de "C'est toi qu'on adore" en 2021 où deux formes unisexes se livraient - souvent en écho l'une de l'autre, parfois en opposition comme pour souligner un déchirement intérieur - à un combat chorégraphié au millimètre contre les forces invisibles les assignant à une place héritée à l'insu de leur volonté.

Troisième volet de ce triptyque, "Se faire la belle", dont le titre évocateur inscrit d'emblée la recherche du côté d'une évasion à jamais inaccomplie, amplifie le propos en faisant apparaître la performeuse "incluse" dans une camisole, ses deux bras entravés sur le ventre. Vêtement à haute valeur symbolique évoquant autant celui porté par nos grands-mères, prisonnières de la place où elles étaient assignées, que l'instrument de contention utilisé en psychiatrie, la camisole à elle seule annonce le combat acharné pour tenter de s'en délivrer.

Sans jamais que ses pieds rivés au sol ne puissent s'en extraire, le corps traversé de soubresauts désarticulés autant que rageurs va n'avoir de cesse de faire craquer les coutures du conditionnement. Sa tête aux cheveux courts bringuebalée en tous sens, elle développe une énergie surhumaine pour tenter de devenir… humaine, simplement humaine, libérée des injonctions liées aux représentations sexistes introjectées dès la prime enfance.

La musique répétitive libérée par les pulsations électroniques se mêlant aux lumières stéréoscopiques soulignant les soubresauts du corps en révolte, ajoute à l'intensité dramatique du combat livré sous nos yeux par cette jeune femme désireuse d'en finir avec les diktats d'une autre époque. En refusant corps et âme d'accorder force de loi à ce qui n'est que construction ancestrale, Leïla Ka, "guerrillère ordinaire", libère de "l'encrage" du Livre des Pères et inscrit son écriture chorégraphique dans un à-venir à conquérir de hautes luttes.

"Today is beautiful day" © Pierre Planchenault.
"Today is beautiful day" © Pierre Planchenault.
"Today is beautiful day". En choisissant un titre en forme d'antiphrase, le chorégraphe danseur musicien plasticien Youness Aboulakoul prend "visiblement" le contrepied de la béatitude en se proposant de déconstruire sciemment les sombres impacts de la violence sur son corps mis à l'épreuve d'une époque peu amène…

Ce faisant, sur un plateau regorgeant d'accessoires divers - cordes descendant des cintres auxquelles il s'attelle, casques intégraux enserrant son crâne, barres lumineuses scintillantes l'aveuglant, machines fumigènes faisant disparaître son existence -, il s'agite en tous sens… sans que le sens nous en apparaisse.

En effet, à l'instar des généreuses fumées envahissant le plateau, cette débauche de moyens convoqués fait vite long feu… On aurait souhaité plus de sobriété dans la technique mobilisée, ainsi que plus de profondeur dans le message que l'artiste se dit vouloir transmettre. Bref - malgré l'apparition de la voix chaude et puissante du Genius, Ray Charles -, ce galimatias aurait par trop tendance à nous laisser de glace. Un flop ? Certains, dont nous sommes, ne seraient pas loin de le penser… Un flop en 3D.

"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
"Every drop of my blood" © Pierre Planchenault.
Ces trois spectacles ont été vus dans le cadre du Festival Trente Trente de Bordeaux-Métropole-Boulazac. Le premier à l'Atelier des Marches, lors de la soirée du jeudi 20 janvier à 18 h 15 et les deux autres ce même jeudi à 20 h et 21 h à La Manufacture CDCN.

"Every drop of my blood"
Danse - Nouvelle-Aquitaine (Bordeaux).
Présentation d'une étape de travail, création prévue en septembre 2022.
Conception et direction artistique : Nadia Larina.
Texte : Mélanie Trugeon, Nadia Larina, Elie Nassar, Alexandre Bado et les enregistrements de personnes rencontrées lors des ateliers de médiation.
Chorégraphie et danse : Nadia Larina, Alexandre Bado, Danaë Suteau.
Musique live (guitare, clavier, percussions, musique électronique) : Bastien Fréjaville.
Production : Cie FluO.
Durée : 40 minutes.

"Se faire la belle" © Pierre Planchenault.
"Se faire la belle" © Pierre Planchenault.
"Se faire la belle"
Danse - Pays de la Loire (Saint-Nazaire).
Avant-première, création prévue en mars 2022.
Chorégraphie et interprétation : Leïla Ka.
Création lumière : Laurent Fallot.
Durée : 20 minutes.

"Today is beautiful day"
Danse - Île-de-France (Paris).
Youness Aboulakoul/Compagnie Ayoun
Conception, chorégraphie et interprétation : Youness Aboulakoul.
Regard extérieur : Youness Atbane.
Création son : Youness Aboulakoul.
Lumières : Omar Boukdeir.
Création médias : Jeronimo Roe.
Accompagnement dramaturgique : Gabrielle Cram.
Production : Compagnie Ayoun.
Durée : 45 minutes.

Festival Trente Trente,
19e Rencontres de la forme courte dans les arts vivants.

Du 18 janvier au 10 février 2022.
Billetterie : 05 56 17 03 83 et info@trentetrente.com.
>> trentetrente.com

Yves Kafka
Mercredi 26 Janvier 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024