La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

FAB 2021 "Un poignard dans la poche" Au secours Ionesco, tes Rejetons arrivent !

Si, pour leur premier spectacle, les énigmatiques Rejetons de la Reine - collectif issu de la troisième promotion de l'éstba (École supérieure de théâtre de Bordeaux Aquitaine) - ne prennent pas un risque… c'est celui de passer inaperçus. Le moins que l'on puisse dire, c'est que leur proposition perturbe les attendus d'une représentation assise confortablement dans son fauteuil, nous projetant tout de go sur l'avant-scène d'un "théâtre de l'absurde", initié naguère par un autre enfant terrible, un certain Eugène Ionesco.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
L'ombre du "Rhinocéros", né en 1959 de l'imaginaire du dramaturge franco-roumain, plane ce soir-là sur le plateau du studio de création du TnBA sous les traits d'un mystérieux bouc, apparaissant tour à tour aux membres d'une famille très ordinaire réunie à l'occasion d'un déjeuner dont la suite s'avèrera moins ordinaire. Sous le vernis culturel, toujours prêt à se fissurer au moindre coup de canif (de poignard en l'occurrence), l'animal cornu associé au diable (cf. "Le Sabbat des sorcières" de Francisco Goya) pointera inopinément son mufle pour faire symptôme du monstre tapi en chacun.

Tout commence dans l'univers réaliste d'une première invitation à déjeuner conviant la petite amie de la fille chérie d'un couple lambda pour, de manière circulaire, terminer autour de la même table… après que le plateau eut été le théâtre de phénomènes abracadabrantesques orchestrés par de jeunes comédiens mus par le désir collectif de rendre intranquille la scène.

Faisant face au public, deux parents de notre temps, interchangeables sous tous rapports, attendent fébrilement… Curieux comme pas deux de découvrir l'heureuse élue et tout autant soucieux de bien la recevoir - faut vous dire madame monsieur que chez ces gens-là, on connaît les bonnes manières -, la mère a été chargée de préparer un agneau au basilic dont les tribulations à elles seules mettront en appétit… Jusque-là, on pourrait se croire invité aux prémices d'une scène boulevardière chez de quelconques petits bourgeois que l'on devine transparents. Sauf que, à d'infimes détails, on pressent qu'il n'en est rien, un discret parfum de "La Noce chez les petits bourgeois" de Bertolt Brecht flottant dans l'air.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Et dès que l'impétrante se présentera, le doute ne sera plus de mise. Chef de projet - entendre : meneuse anarchiste activiste… - elle va introduire dans ce milieu ultra normé le grain de folie enrayant la mécanique des conventions cultivées comme viatique. Catalysant par sa présence décalée les désirs et frustrations, ce petit monde va voler en éclats. Interchangeant alors rôle et place, faisant taire tout surmoi oppressif pour donner voix aux fantasmes, les protagonistes "déchainés" - au sens littéral - découvrent des territoires qui leur étaient interdits, territoires où rôde le monstrueux indompté.

Le premier symptôme du dérèglement généralisé des "sens" est à repérer dans les "dé-cadences" du langage pris à son propre piège. Dans ces phrases d'une banalité confondante répétées en boucle et avançant sur place en trébuchant, les mots creux se prennent les pieds l'un dans l'autre pour mieux tomber dans le vide qu'ils énoncent. Comme si le temps chahuté voulait en vain par le truchement des mots de tous les jours s'ancrer à une réalité rassurante alors que par ailleurs le plateau est mis à feu et à sang sous l'effet de la folie furieuse qui l'embrase.

Inanité du langage reliée à l'absence de caractères des personnages. Aucune psychologie singulière, tous étant des clones sans autre existence que celle que leur confère le titre qu'ils se donnent, et encore celui-ci est-il constamment blackboulé par le jeu des situations. Ainsi l'un se fait roi, l'autre reine, les deux se rejoignant dans l'adage du psychanalyste Jacques Lacan pointant qu'"un roi qui se prend pour un roi est un fou". Et c'est bien une "scène" folie qui souffle, le roi et la reine, visages ensanglantés par le poignard sorti de la poche de l'activiste révolutionnaire, ressuscitant l'instant d'après avoir été saignés à rouge… pour être à nouveau trucidés, avant de reprendre leur place à table comme si de rien n'était.

Car d'intrigue, il n'y en a pas non plus. Aucune progression, que des digressions "encerclées" par le même schéma de table réunissant, au début comme à la fin de la pièce, les mêmes personnages dans la même disposition. Un point de capiton cependant relie entre elles les scènes "explosées" : l'apparition du mystérieux bouc faisant effraction sous différentes formes, mais portant toujours le même nom : Antoine !

Mais de qui Antoine est-il au juste le prête-nom ? Tantôt, il est vu comme le bouc des voisins troublant la quiétude et mettant les nerfs à vif des parents. Tantôt, c'est le bouc porté avec tendresse dans les bras de l'activiste déplorant par la suite qu'il soit victime des snipers contre-révolutionnaires. Tantôt c'est encore le bouc enfanté par la mère ("Rosemary'baby" de Roman Polansky ?) et donc frère monstrueux de la fille de la famille. Autant de flashs métaphorisant en chacun le même objet fuyant, celui des peurs ou des désirs inavoués.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
"Un poignard dans la poche" peut "déconcerter"… Mais c'est à ce point précis que se noue son intérêt. Celui d'un "antithéâtre" où la parole n'a de sens que pour dire l'effondrement d'un langage seul apte à signifier le rien de nos existences se délitant dans un conformisme mortifère. Ainsi l'agneau au basilic tant de fois sorti du four devient un savoureux plat de spaghettis (écho du surprenant "il est neuf heures" de La Cantatrice chauve tandis que résonne les dix-sept coups de la pendule anglaise…), le bouc jamais représenté mais toujours présent métaphorisant pour sa part le "je-ne-sais-quoi" essentiel.

Et si l'on rit "absurdement", c'est que ce comique porte dans ses plis l'intuition de l'absurde, il devient l'arme à portée de mains - "un poignard dans la poche" - pour dire le tragique d'une époque où la communication policée tue le sens et obscurcit tout horizon d'attente. Dans ce contexte, un tantinet désespérant, la proposition de cette jeune troupe "décomplexée" trouve toute sa place et mérite d'être entendue… et saluée !

Vu au Studio de création du TnBA (Bordeaux), le mercredi 13 octobre 2021 à 20 h dans le cadre du festival FAB 2021.

"Un poignard dans la poche"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Création 2021, première française.
Mise en scène collective : Les Rejetons de la Reine.
Texte : Simon Delgrange.
Dramaturgie : Franck Manzoni.
Avec : Jérémy Barbier d'Hiver, Clémentine Couic, Alyssia Derly, Julie Papin.
Lumière : Arthur Gueydan.
Costumes : Jeanne Bonenfant.
Remerciements à Gala Ognibene pour ses conseils et son aide précieuse en scénographie.
Durée : 1 h 20.

A été représenté du 12 au 16 octobre 2021 au TnBA dans le cadre du FAB 2021.

FAB - 6e Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
Du 1er au 23 octobre 2021.
9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
Billetterie : 09 82 31 71 30.
contact@festivalbordeaux.com

>> fab.festivalbordeaux.com

Les 6 et 7 décembre 2021.
À 18 h et 21 h.
Dans le cadre du Festival Impatience 2021.
Jeune Théâtre National, 13, rue des Lions Saint-Paul, Paris 4e.
>> jeune-theatre-national.com

Yves Kafka
Jeudi 21 Octobre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024