La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

"Don César de Bazan" de Jules Massenet enregistré… une première mondiale !

Un opéra de jeunesse de Jules Massenet ressuscite grâce à un sextuor de chanteurs de très grand talent, joliment accompagnés par les excellents chœur Aedes et orchestre des Frivolités Parisiennes, dirigés par Mathieu Romano.



Des très nombreux opéras composés par Jules Massenet, beaucoup ont disparu. Et dans cette très grande production, peu connaissait ce "Don César de Bazan" créé à l'Opéra Comique le 30 novembre 1872, reçu d'ailleurs plutôt fraîchement. Œuvre de jeunesse de Jules Massenet (composée en quelques semaines à 30 ans sur commande), cet opéra comique, au livret inspiré d'une pièce écrite (d'après Victor Hugo) pour le mythique Frédéric Lemaître, ne brille pas tout à fait encore du grand style de la maturité.

Mais avec ses belles mélodies, sa couleur pittoresque, son sens plaisant du rythme, ses belles couleurs instrumentales et ses rôles nécessitant des chanteurs de la meilleure école française, on comprend sans peine ce qui dans l'opéra a pu attirer les artistes des Frivolités Parisiennes - un orchestre fondé en 2012 par Benjamin El Arbi et Mathieu Franot. Cet orchestre de chambre, qui se veut l'héritier spirituel de celui de l'Opéra Comique dissous dans les années soixante, et grand découvreur de partitions oubliées, est spécialisé dans la musique française légère des XIXe et XXe siècles. "Légères" peut-être mais véritablement dignes de notre attention.

Sur les pas de Grétry et Auber, Massenet - ce grand ami et élève d'Ambroise Thomas - parvient à insuffler à une histoire plutôt conventionnelle son sens "de la couleur, de la poésie, des situations musicales et des effets de mise en scène" (Massenet, Lettre à H. Quinzard), projet esthétique qu'il mènera encore et toujours dans ses œuvres ultérieures, avec le succès que l'on sait. Ce succès dans sa carrière opératique ne venant qu'en 1877 avec "Le Roi de Lahore". Charmant à défaut d'être captivant, "Don César de Bazan" témoigne déjà d'un métier sûr, de cette facilité due à une "prodigieuse fécondité" que semblait un peu regretter Debussy au lendemain de la mort de Massenet (août 1912) dans son article nécrologique publié dans "Le Matin".

Don César, cousin sympathique de l'affreux Don Salluste dans "Ruy Blas", est ce Grand d'Espagne désargenté et charmant, qui va tomber amoureux de Maritana (un beau personnage de bohémienne, une Carmen avant l'heure - moins l'insolence et la sensualité brute). Bazan saura déjouer les intrigues d'un Don José, premier ministre diabolique du roi Charles II d'Espagne. Ce dernier évidemment également amoureux de la bohémienne, ce qui entraînera quiproquos et autres scènes d'alliances, de jalousie, de séduction - toute la panoplie d'un opéra comique plaisant, que Les Frivolités Parisiennes ont recréé puis enregistré pour ce CD avec une distribution luxueuse au Théâtre impérial de Compiègne.

Avec ses couleurs espagnoles, cette "partition légère, brillante, pimpante, écrit évidemment au courant de la plume" (dixit C. Saint-Saëns) se laisse écouter avec plaisir. Surtout quand elle est défendue par un sextuor de chanteurs en grande forme et inspirés. Laurent Naouri incarne puissamment, et avec la verve qu'on lui connaît, ce picaresque Don César. Il donne de l'épaisseur et même de l'emphase burlesque à un personnage un peu vieillot et convenu (tous le sont ici) dans cette bluette sentimentale très IIIe République. Face à lui, la superbe Elsa Dreisig offre son soprano cristallin, son timbre enchanteur et sa diction parfaite à Maritana.

Le croustillant Don José, c'est Christian Helmer, un beau baryton qui défend avec gourmandise son personnage de jaloux perfide. Le Charles II de Thomas Bettinger, ayant les aigus du rôle, est loin de démériter dans ce sextuor idéal. Un sextuor idéal puisque la parfaite mezzo Marion Lebègue (Lazarille) et le baryton Christian Moungoungou (un membre des Chœurs de l'Opéra national de Paris) sont tout sauf secondaires dans cette espagnolade joyeuse.

Tous font honneur à cette belle tradition française du noble chant, et son art déclamatoire unique. Les Frivolités Parisiennes, qui ont reconstruit la partition en la resserrant (elle a brûlé en 1887 dans l'incendie de la Salle Favart), sont un orchestre décidément bien intéressant, un personnage en soi ; tendre dans les duos d'amour, buffo à point et même électrique dans les scènes comiques. Il rend justice à l'écriture symphonique ultra raffinée de Massenet. Le chœur Aedes est en tout point excellent à son habitude. Tous dirigés par Mathieu Romano, ces artistes brillent par leur cohésion de groupe et la ferveur de leur engagement. Quand la passion de la redécouverte se marie avec l'excellence et l'amour du métier, le public se régale toujours.

● "Massenet - Don César de Bazan".
Naouri. Dreisig. Lebègue. Bettinger. Helmer. Moungoungou.
Ensemble Aedes. Les Frivolités Parisiennes. Mathieu Romano.
Label : Naxos
Distribution : Naxos Records.
Sortie : juin 2020.

Christine Ducq
Mercredi 22 Juillet 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024