La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Discotake, planète musik, année zéro, exploration mémorielle réussie

Que disent-elles de nos vies, de nos personnalités, les musiques, les chansons que nous avons mémorisées, inscrites sur le parchemin de nos inconscients, lors de nos traversées de l'enfance et/ou de l'adolescence ? C'est cette exploration de nos mémoires collectives - sous forme de performances et de rencontres - que proposait Discotake, festival événement numéro zéro, créé par Renaud Cojo.



"Ghostrider" de Renaud Cojo © Gil Chauveau.
"Ghostrider" de Renaud Cojo © Gil Chauveau.
Imaginer des performances conceptuelles, des rencontres ou des lectures éphémères, des dispositifs artistiques ancrés dans un territoire mouvant - ici le quartier du Grand Parc à Bordeaux, demain ailleurs - pour explorer les empreintes laissées par la musique populaire, par les refrains, rengaines, mélodies, riffs, BO qui s'inscrivent en chacun de nous au fil de nos souvenirs, puis se réunissent, s'amalgament en différents courants pour s'immiscer dans la mémoire collective et poser des jalons musicaux sur une époque... C'est ce voyage original et inédit, basé sur le partage, que proposait Renaud Cojo (et son label/Cie Ouvre le Chien) dans la capitale girondine.

Durant trois jours, de nombreuses formes artistiques vont être soumises aux oreilles et aux yeux du public. Certaines vont même naître en amont… En effet, la particularité de Discotake est de mettre au premier plan le rapport intime que chacun d'entre nous avons avec la musique, sachant que nos premières découvertes musicales sont souvent fondatrices de nos goûts et préférences d'adultes. C'est pourquoi des projets participatifs ont été imaginés. Et le cœur des rencontres avec les habitants et des répétitions des spectacles se dérouleront à la salle des fêtes du Grand Parc, un haut lieu historique de la scène rock bordelaise (1).

"3300 tours" © Gil Chauveau.
"3300 tours" © Gil Chauveau.
Le projet participatif central s'est décliné en deux temps intitulés respectivement "Passion disque" et "3300 Tours", ce dernier étant mis en scène par Renaud Cojo. L'enjeu était d’aller au-delà du rapport intime à la musique, d'inciter les habitants du quartier à sortir de leur intériorité en livrant un récit personnel vis-à-vis d’un album choisi, avec la volonté de "faire récit" de son histoire personnel.

Pour cela, l'équipe du festival a lancé un appel à participation afin de sélectionner des habitants sur la base du volonta­riat et/ou repérés sur un territoire donné (réseaux sociaux, relais de proximité, opérateurs culturels, centres sociaux, etc.). Les habitants "choisis" ont ainsi pu partager leur "Passion disque" en recevant chez eux des voisins ou des inconnus pour une session d'écoute.

La deuxième phase fut la mise en place du spectacle "3300 Tours" avec quelques personnes ayant participé à "Passion disque". Ceux-ci portèrent leur expérience sur la scène du Glob Théâtre, avec une approche théâtrale judicieusement orchestrée par Renaud Cojo, où chacun, dans une posture personnelle, à la frontière de l'intimité dévoilée et d'une manière d'interprétation distanciée, vint - avec humour, émotion, gaillardise, hardiesse ou timidité maîtrisée - nous narrer leur aventure commune et fondatrice avec des 33 tours… Étonnant et réussi !

Renaud Cojo © Gil Chauveau.
Renaud Cojo © Gil Chauveau.
L'autre grand point singulier de ce numéro zéro est incontestablement la commande faite à quatre artistes choisis pour leur démarche artistique et leurs pratiques pluridisciplinaires. Il s'agissait pour eux de revisiter à leur manière un album, une œuvre musicale appartenant à la culture populaire internationale avec l'obligation de créer "à partir de" et non pas de "recréer ou de réviser" une composition préexistante.

Pour cette première édition, ce sont Phoenix Atala (auteur, réalisateur, chroniqueur, programmateur vidéo, comédien, artiste associé à Nanterre-Amandiers), Baptiste Amann (auteur, metteur en scène et comédien, artiste associé au Théâtre du Merlan à Marseille et à la Comédie de Béthune pour trois ans), Thibaud Croisy (auteur, metteur en scène, comédien, dramaturge) qui furent invités à plancher sur le sujet et à réaliser une performance, chacune d'entre elles ayant été ensuite représentée deux fois pendant le week-end. Renaud Cojo, directeur artistique de la compagnie Ouvre le Chien, fut le quatrième à participer, selon les mêmes conditions.

Nous avons malheureusement regretté que seul Renaud Cojo se soit attelé à une véritable production de plateau, les trois autres artistes s'étant malheureusement arrêtés à la lecture, feuilles en main, d'un texte rédigé narrant leurs expériences personnelles, certes originales, mais qu'on aurait aimées un peu plus "développé".

Ambra Mattioli et le groupe Aladdin Insane © Gil Chauveau.
Ambra Mattioli et le groupe Aladdin Insane © Gil Chauveau.
Le metteur en scène performeur et directeur de la compagnie bordelaise nous a proposé une "création action installation" autour du premier album du groupe Suicide (formé par Alan Vega et Martin Rev), sorti en 1977, dont "Ghost Rider", titre du spectacle, est le premier sillon gravé de ce vinyle éponyme… Un opus qui influencera notablement les mouvances punk et new wave émergentes à fin des années soixante-dix.

S'inspirant des fameuses "Holy Shit" (2), installations sculpturales plastiques d'Alan Vega (exposées notamment en 2012 à Paris), Renaud Cojo crée des sculptures parapluies formées tant d’éclairages électriques que d’objets incongrus et de chevelures de câbles… participant, en une osmose improbable, à une éructation musicale, créative, sonore et insolente. Un objet performant et stupéfiant non identifiable pop punk… Un OPSNI quoi !

Remarquable et talentueux… Avec Cédric Charron et Annabelle Chambon à l'interprétation et Johan Loiseau aux compositions de notes, croches noires ou blanches et sons divers.

Ambra Mattioli © Gil Chauveau.
Ambra Mattioli © Gil Chauveau.
Enfin, on peut également retenir de cette agitation artistique et spectaculaire bordelaise, dynamique et audacieuse, dont on espère une nouvelle édition en 2020, les deux prestations de Thibaud Croisy et Baptiste Amann qui, s'ils nous ont déçus du fait d'une certaine "disette" artistique, se sont révélés de très bon conteur… Et la surprenante interprétation de "Blacktar" (dernier opus de David Bowie qu'il ne put jamais jouer sur scène) par Aladdin Insane Tribute et sa chanteuse performeuse androgyne Ambra Mattioli.

(1) De 1973 à 1992, de grands noms comme The Cure, Motörhead, Iggy Pop, The Ramones, Metallica, The Stranglers, Téléphone, Strychnine, Noir Désir, etc., ont joué sur cette scène avant sa fermeture en 92. Longtemps close et délaissée, elle a été réhabilitée et a rouvert ses portes en juin 2018.
(2) L'exposition "Alan Suicide Vega - Holy Shit" eut lieu du 19 octobre au 24 novembre 2012 à la Galerie Laurent Godin, Paris 13e.

Festival Discotake

"3300 tours" © Gil Chauveau.
"3300 tours" © Gil Chauveau.
Festival Discotake, année 0, s'est déroulé du 24 au 26 mai 2019 dans divers lieux et espaces du quartier du Grand Parc à Bordeaux.
La majorité des propositions étaient gratuites. Seules quatre étaient à 5 euros, une à 7 et une à 15.
L'événement se caractérisait par des performances, des lectures, des rencontres, des spectacles, un concert, un vide-disques, des "écoutes" chez l'habitant, une loge à taguer, un salon Sleeve face, etc.

>> discotake.fr
>> ouvrelechien.com

Gil Chauveau
Mardi 11 Juin 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024