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Paroles & Musique

"Black legends" Black is Jazz, Rock, Blues, Funk, RnB and… Beautiful !

Dans une très belle œuvre où la chanson est la grande prêtresse, le créateur et metteur en scène Valéry Rodriguez propose une traversée de près d'un siècle des grands classiques de la musique noire américaine. On y côtoie aussi quelques grandes figures politiques, donnant au spectacle une optique historique afin de nous faire redécouvrir le combat sans relâche qui s'est engagée depuis plus d'un siècle et qui se poursuit encore aujourd'hui, à la reconnaissance sociale, pleine et entière, des Afro-américains.



© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
Noir sur scène où apparaît un homme au sol avec les jambes un peu recroquevillées sur lui-même. Se détache de lui un extrait du "code noir" (1685) qui établissait les esclaves comme "bien meuble" à leurs maîtres, leur déniant ainsi toute humanité. Écrit par Colbert et son fils, le marquis de Seignelay, sous l'égide de Louis XIV, ce code établit dans les Antilles françaises tout un ensemble d'usages et de droits esclavagistes intégrant mutilations et mort à l'encontre des esclaves. Il fut abrogé en 1794 puis remis en vigueur par Napoléon en 1802.

Cet homme au sol se lève donc et retombe. Puis lumières. Il devient pendant quelques instants un danseur du Cotton Club, club ouvert à Harlem en 1920 qui refusait l'entrée aux noirs bien que mettant sur scène les plus grands artistes de cette même couleur comme, entre autres, Duke Ellington et Louis Armstrong. L'animateur (Valéry Rodrigues) du lieu intervient. Il le fera à différentes reprises, permettant de donner du rythme et de créer des ruptures de jeu salvatrices pour le spectacle afin que celui-ci ne s'enferme pas dans un tour de chant.

© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
C'est d'abord au travers d'une vue historique que la représentation débute avec cet animateur. Il résume à lui tout seul une figure raciste, bien trop commune à l'époque, qu'il incarne au début pour s'en détacher ensuite. L'idée est de montrer également des artistes afro-américains, aussi connus et talentueux soit-il, jouant sur scène et pourtant maltraités et déconsidérés en dehors de ce même lieu.

Comme Billie Holiday que l'on retrouve avec "Strange fruit" (1939) qui est devenue l'une des voix de la contestation noire américaine. Ces "fruits étranges" symbolisent deux adolescents afro-américains, lynchés le 7 août 1930 par des blancs, dont des policiers. Ils furent pendus à un arbre et immortalisés par le photographe Lawrence Henry Beitler (1885-1960). Aucune suite judiciaire n'a été donné à cet acte barbare. Un peu plus loin, c'est une balle qui tue un homme noir, reflet d'une situation bien trop actuelle encore.

En arrière-scène, un peu dans l'ombre se découvre un échafaudage dans lequel sont situés, dans des espaces séparés, un batteur (Alex Poyet), un guitariste (Jean-François Bourassin), un bassiste (Christophe Borilla), un trompettiste (Aurélien Meunier) et un saxophoniste (Gérald Grandman). Tout est joué en live. Les voix des chanteurs sont superbes ainsi que la présence physique de chaque interprète qui font revivre par leur prestation une époque et un artiste.

© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
Musicalement, cela démarre par "Minnie the moocher" (1931) de Cab Calloway et Irving Mills. Là, d'un coup, chant, musique et danse se marient. Ce trio artistique ne quitte jamais les planches de la première à la dernière seconde. Le théâtre a aussi ses entrées. Il est en chacun des artistes qui incarnent, et dans de multiples tableaux, des personnages. Les costumes, éléments essentiels de représentation d'une rock star ou d'un groupe, plantent une période précise et un courant musical. L'incarnation ne verse pas dans l'imitation, même si parfois cela s'en approche, mais ne dénaturant en rien la représentation. Il s'agit de faire revivre des époques avec leurs souffles, leurs rythmes sans égal.

Ces créations artistiques ont également écrit l'Histoire à coup de croches et de paroles quand celles-ci devenaient l'étendard d'une révolte et d'une contestation. Elles cohabitent d'ailleurs durant le spectacle avec de très grandes figures politiques et sportives. On y entend Martin Luther King (1929-1968) et son célèbre "I have a dream" prononcé le 28 août 1963 à Washington. On y voit Muhammad Ali (1942-2016) et aussi Angela Davies, reconnaissable par sa coiffure et allant vers les Suprêmes, habillées comme il se doit, en leur reprochant, d'une seule parole, d'avoir une esthétique trop occidentalisée.

© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
On y entend aussi, venant du premier étage de l'échafaudage et sous une petite lumière, une voix, celle de Barack Obama dans un de ses discours après sa victoire à l'élection présidentielle de 2009. C'est toute une généalogie historique qui défile, de cette figure d'esclave au début, allongé au sol qui devient danseur, musicien, chanteur, compositeur, sportif de renom et, finalement, président des États-Unis d'Amérique. Dans ce fil historique, s'inscrivent des luttes, des combats, du talent et du génie créatif dans un pays encore malade de son racisme, car ayant toujours refoulé, entre autres, sa naissance basée sur l'expropriation et le génocide des Indiens d'Amérique.

Au travers de ces chansons qui ont marqué, pour leur très grande majorité, à jamais la musique, le spectacle montre l'apport indéniable des Afro-américains au rayonnement de leur pays. Quelques œuvres légendaires sont marquées d'une touche de modernité comme "What's Going On" de Marvin Gaye. Défilent, entre autres, durant toute la représentation, les figures de Ray Charles avec "Hit the road Jack", Sam Cooke avec "A Change is Gonna Come", Aretha Franklin avec "Think", James Brown avec "Said it Loud I'm Black and Proud", Nina Simone avec "I Wish I Knew How It Feel to be Free", Prince avec "Purple Rain", Michael Jackson avec "Smooth criminal", Steve Wonder avec "Free" et Beyoncé avec "Crazy in love".

Un pur plaisir !

"Black legends"

© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
Écriture et mise en scène : Valéry Rodriguez.
Direction musicale : Christophe Jambois.
Chorégraphie : Thomas Bimaï.
Chant : Anandha Seethanen, Barry Johnson, Guillaume Ethève, William Saint-Val, Amalya Delpierre-Zemmour, Keh Mey Sebeloue.
Chant et danse : Kadie Ba, Momô Bellance, Cynthia M'Pouma, Christian Schummer, Thomas Garcia Alejo Biig Thom.
Musique : Alex Poyet (batterie), Aurélien Meunier (trompette), Jean-François Bourassin (guitare), Gérald Grandman (saxophone), Christophe Borilla (basse).
Scénographie et création lumières : Christophe Mazet.
Costumes : Sami Bedioui.
Maquillage et coiffure : Aude Rodet.
Costumière : Isabelle Bihoues, assistée de Sabrina Vallée.
Coiffeur perruque : Jordan Darbois.
Maquilleuse et coiffeuse : Pauline Fazzari.
Doublure chant : Virginie Hombel, David Dax.
Danse : William Alberi, Presher Blue.
Durée : 1 h 45.

© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
© Nicolas Friess - Agence Hans Lucas.
Du 29 septembre 2022 au 26 mars 2023.
Du jeudi au vendredi à 21 h, samedi à 16 h 30 et à 21 h et dimanche à 17 h.
Bobino, Paris 14e, 01 43 27 24 24.
>> bobino.fr

Tournée
8 et 9 avril 2023 à 20 h au Zénith de Paris.

Safidin Alouache
Dimanche 19 Février 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023