La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Hamlet", encore et toujours dans une "mise en je" de Gérard Watkins

L'ombre fantomatique du vieux Roi légendaire n'est pas prête à laisser en paix les générations qui se suivent, tant les interrogations posées par William Shakespeare sont d'une historicité atemporelle. Désirs de pouvoir et de sexe intimement reliés l'un à l'autre pour les rendre consanguins, trahison et fidélité à un moi idéal déposé en soi par les vœux des pères, guerres des sexes et guerres intestines ou intracommunautaires se recouvrant à l'envi, ce magma incandescent parle en nous comme une matière en fusion à jamais constitutive de l'humain.



© Alexandre Pupkins.
© Alexandre Pupkins.
L'auteur et metteur en scène d'"Ysteria", présentée naguère sur ce même plateau du TnBA, s'attaque avec une frénésie palpable à ce monument de littérature. Après avoir minutieusement traduit le texte original pour, tout en en préservant l'authenticité, y injecter dans les plis du discours ses propres motifs, Gérard Watkins propose trois heures et plus d'effervescence permanente. Endossant lui-même le rôle du fratricide et régicide Claudius, il donne le tempo de sa scansion décalée présidant à sa manière si particulière de faire "entendre" le vers shakespearien retraduit.

Collant sinon à la lettre du moins à l'esprit de son illustre prédécesseur, il s'affranchit de la loi des genres pour proposer indistinctement à des femmes les rôles d'hommes et vice-versa. Ainsi le rôle-titre est-il confié non sans un certain bonheur à la tragédienne née qu'est Anne Alvaro, usant avec subtilité des gammes de sa sensibilité à fleur de peau, à la fois hardie et fragile, pour réifier les affres vengeresses du jeune Hamlet. À ceci près cependant que la grande différence d'âge qui la sépare de son personnage peut rendre moins crédible le statut d'Hamlet dont le jeune âge n'est pas étranger à sa problématique au lien paternel et maternel.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Dans ce droit fil, ce sont à des actrices que seront dévolus les personnages du courtisan Guildenstern et du spectre. Si, pour le premier, on peut être simplement surpris du choix de casting sans que cela perturbe outre mesure la lisibilité de l'intrigue, pour le deuxième, il en va différemment. En effet, comment croire un instant à la crédibilité du fantôme erratique du vieil Hamlet lorsque, son casque retiré, on découvre la brune chevelure somptueuse encadrant le visage aux traits fins de l'actrice éclatante de jeunesse censée l'incarner ? Toutes les justifications entourant ce choix - délibérément assumé eu égard aux libertés originelles - peuvent apparaître, pour un spectateur contemporain, purs produits de l'intellect.

D'autre part, si la direction d'acteurs(trices) traduit avec force - et justesse - l'agitation s'emparant des protagonistes soumis à la déferlante de leurs tourments ne leur offrant aucun espoir de rémission, la tentative du metteur en scène de réintroduire l'exubérance des représentations de l'époque shakespearienne, l'amène parfois à quelques excès qui peuvent laisser pantois le spectateur du XXIe siècle. Ainsi certains gestes isolés, de grotesque provocation sexuelle ou de scansion hystérisée prêtés à la Reine, auraient plus pour effet de desservir le propos en le "divertissant" qu'à servir l'intention. Ou alors aurait-il fallu aller encore plus loin en lâchant bel et bien le frein de la bienséance pour libérer le "dé-lire" ?

Ces réserves étant posées, cette "représentation", pour être restée intentionnellement au milieu du gué - entre fantaisie contenue et drame lié à la souillure incestueuse des hommes soumis à la volonté de puissance -, présente l'intérêt d'être nourrie par une réflexion de haut vol mettant en exergue le théâtre et son double, la comédie humaine des passions ravageuses exposées en pleine lumière.

En effet, comment ne pas être "atteint" une nouvelle fois par la scène en miroir du Roi et de la Reine de comédie ? Comment ne pas être "bousculé" par les fulgurances d'Hamlet sur les obscénités humaines, le non-sens de l'existence, l'avidité poussant les hommes à mourir pour un lopin de terre, les privilèges - jusque dans la mort - du rang social (cf. la mise au tombeau d'Ophélie), ou encore sur ces "acteurs qui déambulent et beuglent si fort qu'ils imitent l'humain avec beaucoup d'abomination".

"Hamlet" reste définitivement la pièce des pièces et Gérard Watkins a le mérite d'assumer ses choix de metteur en jeu en en proposant une interprétation personnelle située dans un décor vintage inspiré des sixties et dans une scénographie restant, finalement, peut-être encore trop "polie" pour traduire l'exubérance shakespearienne.

"Le reste est silence", comme conclut le personnage titre expirant sous un ciel vide, purgé - pour un temps - des miasmes des intrigants. Un silence troué présentement par le plaisir "essentiel" de renouer avec le théâtre vivant.

"Hamlet"

© Alexandre Pupkins.
© Alexandre Pupkins.
Texte, William Shakespeare.
Traduction et mise en scène : Gérard Watkins.
Assistantes à la mise en scène : Lucie Epicureo et Lola Roy.
Avec : Anne Alvaro, Solene Arbel, Salomé Ayache, Gaël Baron, Mama Bouras, Julie Denisse,
Basile Duchmann, David Gouhier, Fabien Orcier, Gérard Watkins.
Lumières : Anne Vaglio.
Scénographie : François Gauthier-Lafaye.
Son : François Vatin.
Costumes : Lucie Durand.
Production : Cie Perdita Ensemble.
Durée : 3 h 15 (avec entracte).
Création au TnBA, les 7 et 8 janvier 2021, représentations réservées aux professionnels et à la presse.

Dates prévisionnelles de tournée

© Alexandre Pupkins.
© Alexandre Pupkins.
Du 2 au 14 février 2021 (sous réserve).
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre de la Tempête (salle Serreau), Cartoucherie, Paris XIIe, 01 43 28 36 36.
>> la-tempete.fr

Du 21 au 22 avril 2021, à 19h, Comédie de Caen.
Tournée la saison prochaine (à ce jour) : Besançon, Lorient, Bordeaux.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.

Yves Kafka
Vendredi 15 Janvier 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023