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Théâtre

"Haskell Junction"… Entre odyssée et "réalité" théâtrale dérangeante sur l'état du monde et ses frontières

"Haskell Junction", TnBA, Bordeaux, puis en tournée

À la frontière incertaine de deux pays en devenir (États-Unis et Canada), à un siècle où les pionniers construisaient encore leurs rêves, se créent une ville du futur comté de Memphrémagog et une histoire à l'avenir épique, à la limite du romanesque si des évolutions tragiques n'en avaient pas noirci la trame…



© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Ainsi naît Stanstead, posant ses fondations dans les années 1790, les pieds délibérément plantés sur la frontière canado-américaine. Cela vaudra, à ce qui n'était alors qu'un village, quelques bizarreries réglementaires et administratives, à la poésie singulière. Une famille locale influente, officiant dans les scieries, les Haskell, amplifia ce particularisme frontalier en édifiant les "Bibliothèque et salle d'opéra Haskell" (Haskell Free Library and Opera House), qui ouvrirent en 1904, à cheval sur la province du Québec et de l'État du Vermont.

Cette insolence territoriale initie une cocasserie particulière nulle part ailleurs rééditée qui fait que l'on ne peut s’asseoir dans une salle de spectacle divisée en deux par une frontière internationale, la plupart des spectateurs se trouvant aux États-Unis pour assister à une pièce de théâtre ou un opéra se déroulant au Canada. Une matérialisation du fait se fit à la suite d’un incendie dans les années quatre-vingt-dix. En effet, les compagnies d’assurances ne pouvant se mettre d’accord sur le pays du départ de feu, la limite fut matérialisée par une ligne sombre tracée sur le sol.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Marquage au noir d'un territoire, délimitation d'un espace, élaboration des nations, de tout temps les frontières ont paradoxalement uni et divisé, aidé un peuple à se construire ou à se déliter. Ici, dans la proposition de Renaud Cojo, la frontière, matière d'études, conçu comme un champ exploratoire aux vertus artistiques, initie un plan de jeu où chaque comédien interprète non pas un personnage au sens strict du terme mais une séquence, un événement, une situation fondatrice du récit qui est narré tant du point de vue plastique que verbal.

Sortant des cintres, un décor forestier inversé, très vite embrumé d'un brouillard et de flocons de neige à la dispersion cinématographique, distillés par de gros ventilos de plateau et son machiniste, symbole du permanent basculement entre rêve, aux évocations fantasmagoriques, et réalité, aux représentations, aux flashs, aux violences, à la vertu documentaire et dénonciatrice.

Pour cela, Renaud Cojo, fidèle à ses pratiques créatives, associe des artistes venant d'horizons divers : performeuse, musicien, danseur, acteurs et le cinéma comme média supplémentaire.

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Métamorphosant son propos en réflexion à caractère réaliste (surréaliste ?) sur les derniers bouleversements frontaliers… et politiques, d'un monde qui ne sait quoi faire de ses réfugiés. Humanité à potentiel inhumain face à ceux qui justement fuit les nationalismes politiques ou religieux en franchissant par espoir de survivance, les lignes douanières interdites.

Dans cet univers aux allures d'installation artistique contemporaine mouvante où, de manière fugace des œuvres éphémères prennent forme, sous une pluie irrégulière, parfois dense, parfois symptomatique, de gilets de sauvetage, Renaud Cojo et les talentueux artistes qui l'accompagnent réécrivent une "réalité" théâtrale dérangeante, transgressive, sur l'état du monde, sur son retour à l'enfermement, sur la disparition de l'altruisme et sur le refus d'accueil des autres, étrangers réfugiés ou migrants… Et nous laissent avec nos interrogations et nos réflexions sur notre pouvoir à agir au sein de nos propres existences.

"Haskell Junction"

© Frédéric Desmesure.
© Frédéric Desmesure.
Conception et mise en scène : Renaud Cojo.
Film : Renaud Cojo et Laurent Rojol.
Avec : François Brice, Renaud Cojo, Élodie Colin, Catherine Froment, Christophe Rodomisto.
Scénographie : Philippe Casaban et Éric Charbeau.
Lumières : Éric Blosse.
Son : Loïc Lachaize et Johan Loiseau.
Costumes : Odile Béranger et Muriel Liévin.
Costume animal : Corine Petitpierre.
Création musicale : Christophe Rodomisto.
Régie générale : Yvan Labasse.
Durée : 1 h 30.
Production : Ouvre le chien.
>> ouvrelechien.com

Du 12 au 21 octobre 2017.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h (relâche : 15 et 16 octobre).
TnBA (Théâtre national de Bordeaux Aquitaine), salle Vauthier, Bordeaux (33), 05 56 33 36 80.
>> tnba.org

Tournée
6 février 2018 : Les Sept Collines - scène conventionnée, Tulle (19).
9 février 2018 : MA Scène Nationale Pays de Montbéliard, Montbéliard (25).
Du 20 au 22 février 2018 : NEST - CDN, Thionville (57).
18 mai 2018 : Festival la Tête à l'envers, Théâtre Ducourneau - Scène conventionnée, Agen (47).

Gil Chauveau
Samedi 21 Octobre 2017

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

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Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023