La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Un mois à la campagne"… Sentir le parfum des regrets, des souvenirs… Comme une romance…

"Un mois à la campagne", Théâtre Dejazet, Paris

Durant ce mois de villégiature, ce "mois à la campagne" (que décrit Yvan Tourgueniev et que met en scène Alain Françon), tous les protagonistes rêvent de mœurs policées et de conversations romanesques…



© Michel Corbou.
© Michel Corbou.
Une illusion de marivaudage qu'ils vivent dans un forme de torpeur qui rejoint l'ennui pendant que le riche propriétaire du domaine (Guillaume Levêque) s'occupe d'un chantier, de digue et de maison dont on ne sait presque rien, pendant que le médecin (Philippe Fretun) observe et n'en pense pas moins.

Et quand, dans cette réalité, un jeune homme un peu gauche et candide (Nicolas Avinée) surgit, c'est l'ensemble de la maisonnée qui bascule dans la surprise de l'amour. L'appel et le vertige du désir enclenchent des réactions en chaîne des uns et des autres, comiques et très vite dramatiques. Le chamboulement de l'ordre des choses, des caractères, est spectaculaire. La vitalité, la joie de vivre, le retour d'enfance, le premier émoi mais aussi les premiers affrontements, jalousies, cachotteries et calculs cyniques ou pratiques.

Toutes ces modifications de l'humeur sont vécues comme envahissantes et éruptives, le marivaudage tourne à la russe. À l'indicible, à l'ineffable idéalisé se substitue un non-dit obstiné. Car le déni est le moteur de l'action. Endiguer, endiguer la montée des sensations. Et refuser. Refuser les sentiments et conserver le monde d'avant.

© Michel Corbou.
© Michel Corbou.
À ce jeu-là, les lapsus s'enfilent en cascade. Dire et ne pas faire. Quitte à faire ce qu'on ne veut pas faire. "Un mois à la campagne" est le théâtre d'un festival de litotes. Les dialogues magnifiquement ciselés (traduits par Michel Vinaver) montrent la puissance des contradictions et leur inconfort. Au fil des scènes, le spectateur assiste à la variation des apparences, le mensonge des paroles, la crudité de la vie. Il mesure l'absence d'empathie d'une société qui mime les bons usages dans une image de soi idéale.

Cette pièce tire le portrait d'une société de caste confrontée à son refoulé. La comédie y est permanente, ne tombe jamais dans le mélodrame. Enlevée, alerte, légère, elle se révèle être un jeu de massacre des innocents qui se cristallise en une tragédie des femmes dans un monde où domine la connivence des hommes.

Et face au couple indestructible des deux hommes amis d'enfance pour toujours (Micha Lescot et Guillaume Lévêque), et par les seuls effets de la présence d'un jeune homme, le triangle qui relie la maîtresse capricieuse (Anouk Grinberg), la dame de compagnie fidèle (Laurence Côte)et la jeune orpheline (India Hair) explose littéralement. Ces trois femmes sont renvoyées à leurs statuts respectifs, à leurs illusions détruites, à leur solitude plombante. Leur sacrifice est mis à nu.

© Michel Corbou.
© Michel Corbou.
À la toute fin se dessine comme une aube d'émancipation quand la servante affronte sa maîtresse, quand le jeune précepteur retourne à la ville, rendu solide parce qu'il sait qu'il a été aimé.

Ce "mois à la campagne" est un bonheur de comédien. Et tous les comédiens, de Micha Lescot à Philippe Fretun, d'Anouk Grinberg à India Hair ou Catherine Ferran (qui joue la mère), tiennent la partition des personnages à ravir. Des personnages qui laissent dans leurs sillages le parfum de leurs regrets ou de leurs souvenirs. Comme une romance. J'ai aimé, j'ai été aimé, Je ne t'aime pas. Moi non plus. On ne m'a pas aimé.

Le spectateur reste sous le charme.

"Un mois à la campagne"

© Michel Corbou.
© Michel Corbou.
Texte : Ivan Tourgueniev.
Adaptation et traduction : Michel Vinaver.
Mise en scène : Alain Françon.
Collaboratrice artistique à la mise en scène : Maryse Estier.
Avec : Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Côte, Catherine Ferran, Phillipe Fretun, Anouk Grinberg, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Levêque.
Décor : Jacques Gabel.
Costumes : Marie La Rocca.
Lumières : Joël Hourbeigt.
Musique : Marie-Jeanne Séréro.
Production : Théâtre des Nuages de Neige.

Du 9 mars au 28 avril 2018.
Du lundi au samedi à 20 h 30.
Théâtre Dejazet, Paris 3e, 01 48 87 52 55.
>> dejazet.com

Jean Grapin
Lundi 19 Mars 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024