La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Et un regard neuf éclaira "Le Misanthrope"

Voilà une représentation originale de la célèbre pièce de Molière. On pourrait presque parler de métamorphose. Et pourtant, on y respecte la moindre réplique du texte original. Il n'y est fait usage d'aucun effets ajoutés, trucs scéniques, sonores, spectaculaires… Au contraire, c'est dans une sobriété poussée à l'extrême, un plateau nu, des lumières essentielles et des costumes simples et sans époques que se déroule l'histoire.



© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
En cela, la mise en scène de René Loyon se plie au discours d'Alceste réclamant plus de naturel et plus de simplicité dans le monde. Mais s'y ajoute un ingrédient passionnant et c'est cette particularité qui va d'une certaine manière transposer la pièce hors de son siècle et la propulser jusqu'à nous : tous les personnages ont soudain dépassé 50 ans… comme si ce manège de faux-semblants, de médisances et de passe-droits, qui règne sur le salon de Célimène, durait depuis des décennies. Une sorte d'enfer à la Sartre où cette fois Alceste n'est plus seul à se sentir piégé, mais où tous, Célimène, Arsinoé, Oronte, Eliante, Philinte et petits marquis compris, sont condamnés à tourner, tourner éternellement et revivre sans cesse la même histoire.

Soudain, Alceste semble moins étranger au monde qu'il dénonce et son "Je veux qu'on me distingue !" se révèle être une requête que d'autres autour de lui clament également. Car dans cette mise en scène, les personnages paraissent libérés de leurs propres caricatures. On voit clairement à travers le masque d'apparence et l'on découvre, je pense pour la première fois, qu'ils ne sont pas seulement faits d'orgueil démesuré, mais de sensibilité, de fragilité.

© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
Est-ce d'avoir fait soudain vieillir tous les personnages ou bien est-ce grâce à l'art du jeu maîtrisé dont tous les interprètes font preuve ? L'effet fonctionne à plein et l'on ne se cantonne pas à suivre la fougue et l'esprit des répliques fameuses de ce texte, on ressent ce qui se cache sous ces apparats : un besoin d'exister sans bornes.

Quant au couple Alceste, Célimène, il prend lui aussi une valeur différente. Et c'est la souffrance d'Alceste face à ce monde boursouflé d'hypocrisie qui saute aux yeux plus que sa colère démesurée, et c'est la force obstinée que développe Célimène pour conserver sa liberté qui nous touche plus que sa rouerie et ses amusements aux dépens des autres. C'est peut-être en cela que la pièce devient soudain très intemporelle avec un propos modernisé.

C'est une bien belle expérience à laquelle nous invitent René Loyon et ses valeureuses et valeureux comédiennes et comédiens (qui tous font partie de l'atelier René Loyon) : donner à voir et à entendre du neuf dans un texte merveilleux. Bref, c'est un sacré coup de jeune donné à la célèbre pièce de Molière et un régal renouvelé à voir et à entendre ce bal des faux-semblants, des perfidies et des fake news bien persistants dans notre temps.

"Le Misanthrope"

© Nathalie Hervieux.
© Nathalie Hervieux.
Texte : Molière.
Mise en scène : René Loyon.
Assistante à la mise en scène : Évelyne Guimmara.
Avec : Pierre Ascaride, Corinne Bastat, Cristine Combe, Francis Coz, Dominic Gras, Évelyne Guimmara, Claude-Bernard Pérot, Dominique Verrier, Thierry Vu Huu.
Lumières : Laurent Castaingt.
Régie générale : Igor Galabovski.
Production : Compagnie RL.
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 30.

Du 9 janvier au 6 février 2023.
Les lundis à 20 h.
Les 14, 15, 20, 21 et 22 mars 2023 à 20 h.
Le 100ecs - Établissement Culturel Solidaire, Paris 12e, 01 46 28 80 94.
>> 100ecs.fr

Bruno Fougniès
Mercredi 4 Janvier 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024