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Théâtre

"Underground" Éloge du risque amoureux

L'amour comme les angelots n'a pas de sexe. Même les amours les plus charnels, les plus dévastateurs, les plus profonds, les plus troublants. Oui, c'est étrange d'énoncer cela. Mais c'est ici le propos central d'"Underground". Underground, le métro en anglais, et plus symboliquement ici, telle l'image des entrailles sinueuses et enfouies de l'être intime, là où dorment les désirs cachés, indiscrets, inavouables, mais surtout les désirs inconnus et les peurs.



"Underground" explore cette faille des êtres humains, que l'ordre établi, la conscience et la puissance de l'éducation morale dissimulent pour que les normes sociales dominent. La jeune femme, interprétée avec une sensibilité troublante par Clémentine Bernard, seule sur scène, semble pourtant extrêmement classique, anodine, assise dans sa rame de métro. Mais c'est son discours intérieur qu'elle nous partage alors, une voix grâce à laquelle elle va nous emporter vers l'histoire qui l'attend et l'émotion qui va faire résonner son corps, de sa peau jusqu'au plus profond de son être.

Le début du texte la saisit au moment de sa rupture avec l'homme convenable et convenu que la vie lui destinait. Une vie normale, faite de projets d'enfants et de vacances, faite d'un quotidien bien balisé, d'un ordinaire applaudi par tous : familles, amis, rencontres. Une ouverture qui semble comme le début d'un exil obligé. Elle a perdu ce conventionnel qui l'habillait comme une armure. Elle est égarée dans ce métro comme dans un dédale sans issue.

© Jade Edeb pour l'Étincelle Théâtre(s) de la Ville de Rouen.
© Jade Edeb pour l'Étincelle Théâtre(s) de la Ville de Rouen.
Peut-être fallait-il cette rupture pour la rendre vulnérable, face à ses peurs, ses nuits. Une nuit où elle s'enfonce dans le sous-sol d'un bar et où quelque chose d'inconnu la prend : un désir pour une guitariste qui se produit là.

Le texte de Julie R'Bibo nous fait alors partager les doutes, les peurs, les malaises, les gènes et les troubles que ce coup de foudre d'une fille pour une fille provoque. L'armure morale ne se laisse pas démolir facilement et c'est le long cheminement de l'acceptation de sa propre émotion auquel la pièce nous invite.

Les lumières de Mélisse Nugues-Schönfeld ouvrent des espaces sur le plateau des Déchargeurs presque nu. Elles créent de jolis interstices par lesquels se glissent les aveux, les révélations, fines et précises. La musique de Guillaume Léglise ouvre elle aussi des espaces imaginaires, jouant sur les volumes, les intensités, elle accompagne et enveloppe la comédienne comme un guide. Tous ces éléments apportent une fluidité qui rythme judicieusement le spectacle et nous emmènent doucement vers un questionnement sur la liberté de nos propres désirs et de nos prudences face au risque de se découvrir autre que ce que l'on croyait.

"Underground"

© Jade Edeb pour l'Étincelle Théâtre(s) de la Ville de Rouen.
© Jade Edeb pour l'Étincelle Théâtre(s) de la Ville de Rouen.
Texte et mise en scène : Julie R'Bibo
Jeu : Clémentine Bernard.
Scénographie : Fanny Laplane
Lumière : Mélisse Nugues-Schönfeld.
Création sonore-musique : Guillaume Léglise.
Production Compagnie La Karavane.
Durée: 1 h 10.
À partir de 14 ans.

Du 2 au 25 janvier 2022.
Dimanche, lundi et mardi à 21 h.
Les Déchargeurs - Nouvelle scène théâtrale et musicale, Salle Vicky Messica, Paris 1er, 01 42 36 00 02.
>> lesdechargeurs.fr

Bruno Fougniès
Mardi 11 Janvier 2022

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