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Théâtre

"Projection privée"… Midinettes accros à la téloche et mecton bidon qui se rêve en rockeur

"Projection privée", Le Lucernaire, Paris

Dans la pièce, "Projection privée" de Rémi De Vos, les personnages (le mari, l'épouse, la maîtresse) sont placés sous l'influence des boîtes à images, des émissions de plateau réalité, de soap opéra, de télé novellas, de photos romans ou de karaoké.



© Joseph Banderet.
© Joseph Banderet.
Elles, ce serait plutôt "Amour, Gloire et Beauté" et peut être de manière cachée Joie et Volupté. Lui est résolument Pouvoir, Gloire et Luxure. De manière affirmée, touchante de vanité, il est Jouissance et Exhibition, car quels que soient ses faibles talents, son sexe a toujours le beau rôle.

L'auteur se délecte de ces machines à rêves de princesse, de prince charmant et dominant, de séduction qui révèlent des sous-entendus insidieux et pervers, tordent les consciences, renversent les perspectives, rendent le monde instable, induisent des folies. Rémi De Vos sait conjuguer l'étude des mœurs, la farce et la satire. Apporter au rire une dimension d'inquiétante étrangeté.

La mise en scène de Michel Burstin, avec simplicité et efficacité, révèle toutes les nuances et les lignes de force du texte. Son dispositif s'articule autour du canapé de la tradition du théâtre bourgeois. Posé comme une scène primitive. Un objet zapette, dans sa manipulation ostensible, installe au lointain du public la présence invisible d'un écran de télévision virtuel, miroir des imaginaires auquel les personnages sur scène bien réels se conforment en toute inconscience.

© Joseph Banderet.
© Joseph Banderet.
Il y a là, pour chacun, dans cet objet zapette comme un objet transitionnel qui relie les mondes. Et les comédiens s'emparent avec une joie évidente de leurs personnages et de leurs caractères, se moulent promptement en leurs modèles acidulés. Avec force et élégance aussi. C'est pour le spectateur qui a reçu lui aussi des graines de princesses et de princes dans son imaginaire une situation très confortable. Son rire est complice du jeu, s'amplifie. La fascination monte. L'illusion devient réelle. Le manipulateur est manipulé et la réalité se dilue.

Et dans cette histoire de midinettes accros à la téloche et de mecton bidon qui se rêve en rockeur, le rire change de nature. La conscience frémit. La scène devient un espace de concrétion.

Chaque personnage apparaît alors comme prisonnier de son rêve. Chacun dans son repli dévoile ses fragilités et ses violences, ses ridicules et ses souffrances. Tous incapables de nouer des "nous", car leur "je" ne joue pas le jeu. Tout juste capables de "tu" qui tuent. Des avatars perdus dans un monde de fantastique et de folie. Le nôtre : au public révélé.

Et le spectateur soulagé d'être au théâtre applaudit avec force comme pour éloigner l'idée de la possibilité d'une réalité pire que celle montrée dans cette comédie pleine d'humour.

"Projection privée"

© Joseph Banderet.
© Joseph Banderet.
Texte : Rémi de Vos.
Mise en scène : Michel Burstin.
Avec : Bruno Rochette, Sylvie Rolland et Elsa Tauveron.
Lumière et son : Olivier Mandrin.
Décor : Philippe Calmon.
Costumes : Elise Guillou.
Compagnie Hercub'.
Durée : 1 h 30.

Du 18 octobre au 9 décembre 2017.
Du mardi au samedi à 21 h.
Théâtre du Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Jean Grapin
Mercredi 25 Octobre 2017

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