La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

San Francisco Ballet… Retour aux Étés de la Danse

Les Étés de la Danse, Théâtre du Châtelet, Paris

Pour son dixième anniversaire, les "Étés de la Danse" renouent avec le San Francisco Ballet qui était au rendez-vous de la première édition du festival en 2005. Gardienne de la danse classique, le San Francisco Ballet propose de revisiter les différents jalons qui ont marqué son histoire.



San Francisco Ballet - Glass Pieces © Erik Tomasson.
San Francisco Ballet - Glass Pieces © Erik Tomasson.
Le spectacle présente trois chorégraphies qui s’étendent sur une période allant de "Agon" (1957) à "Caprice" (2014) en passant par "Glass Pieces" (1983). Trois versants de la musique classique sont présentés, allant d’un "classicisme" pur de la danse dite "classique" à des chorégraphies beaucoup plus avant-gardistes à l’époque où elles ont été créées, appuyées respectivement par des musiques de Stravinsky, Saint-Saëns et Glass. Les musiques sont un élément moteur des chorégraphies. De leurs tempos et rythmes, elles dessinent les ruptures, les déplacements et la gestuelle des danseurs.

Paradoxalement, c’est "Caprice" de Helgi Tomasson, actuel directeur artistique du San Francisco Ballet et ancien danseur étoile du New York City Ballet qui est dans la plus pure tradition classique. Avec cette chorégraphie, Helgi Tomasson semble avoir voulu faire du San Francisco Ballet la sentinelle de la Danse Classique.

Les déplacements des danseurs sont aériens, légers, glissants sur le sol. L’approche est très épurée dans des déplacements d’une symétrie parfaite jouant avec l’axe central de la scène dans lequel un duo, un trio ou un quatuor de danseurs exécutent les 5 mouvements de la chorégraphie appuyé par un groupe de danseurs. Les mouvements et la disposition scénique des danseurs respectent l’âme de la Danse Classique. Toutefois, même si la chorégraphie est servie par toute la Beauté et la Grâce des figures de la danse, aucune prise de risque n’a été faite par Helgi Tomasson.

Sofiane Sylve et Anthony Spaulding - Agon © Erik Tomasson.
Sofiane Sylve et Anthony Spaulding - Agon © Erik Tomasson.
La seconde chorégraphie, "Agon" de George Balanchine, est dans une gestuelle composée de mouvements découpés, presque hachés faisant ressentir les différentes parties des membres inférieurs et supérieurs. L’assise des pieds est bien ancrée au sol avec une plante des pieds en parallèle, face public. Les mouvements sont beaucoup plus terriens, bien appuyés au sol et les déplacements sont faits par petits sauts. La gestuelle est moins gracieuse, moins aérienne que dans "Caprice". Elle est beaucoup plus physique avec des jambes élancées, face public.

La Grâce n’est pas la qualité première de ces danses qui révèle une originalité dans les déplacements, originalité dans la force, la tension, le martèlement autant de la plante des pieds sur le sol que des élancés des jambes dans l’espace faisant du tronc des danseurs l’axe pivot de tous les mouvements. La musique de Stravinsky accompagne les mouvements des danseurs. Ceux-ci deviennent le miroir de celle-ci. L’espace est investi dans toutes ses latitudes avec un milieu de scène qui ne devient plus central. Les mouvements sont très étirés, comme lancés vers l’extérieur de la scène. De ces mouvements, une tension nourrit chaque déplacement.

"Glass pieces" de Jérôme Robbins est sous le sceau du mouvement, avec des allers et venues sur toute la scène. Celle-ci est investie dans ses différents axes et ses différentes diagonales. La scène est ainsi décentrée et devient un vaste espace dans lequel les mouvements et la gestuelle sont greffés de quotidienneté, quotidienneté nourrie de fixité et de tension dans les déplacements. Le danseur devient citoyen du monde happé dans un univers dont il semblerait ne plus avoir la maîtrise. La danse classique descend de son piédestal pour investir le mouvement quotidien de la marche.

San Francisco Ballet - Caprice © Erik Tomasson.
San Francisco Ballet - Caprice © Erik Tomasson.
Sur scène, il n’y a plus de centre, plus de symétrie. Quelques danseurs exécutent des arrêts pour marquer un temps et effectuer des mouvements brisant la continuité des déplacements. Ils sont comme un souffle de Vie qui s’est libéré de ces mouvements devenus machinaux. Puis la marche reprend, une marche presque anonyme, machinale de danseurs allant de l’avant comme obnubilé par un horizon inatteignable. Les regards sont fixes, presque perdus et les mouvements sont tendus. C’est une course vers un Ailleurs situé bien au delà de la scène. Le mouvement n’est pas décomposé. Il est d’un bloc, fait dans une multitude d’autres mouvements comme un raz de marée humain.

Ces 3 chorégraphies font du déplacement l’axe central du spectacle. Un déplacement léger, aérien à la racine même de la danse classique qui devient plus découpé, haché pour ensuite être mécanique voire machinal. Cette évolution dans les déplacements fait du danseur, maître du sol et de l’espace, une machine emportée par son environnement. Le mouvement, de libéré, devient aliéné, comme happé par un Ailleurs qui ne serait plus sur scène. Ce qui est investi et redéfini dans les chorégraphies est ce rapport à la scène que la danse classique bouscule souvent avec ses figures phares que sont, par exemple, le grand jeté ou l’arabesque.

Ici, nous sommes ramenés à un rapport à la scène beaucoup plus ancré et "mécanique". Cette approche engage le danseur à être témoin d’un environnement social et humain faisant de la danse classique un reflet de notre époque, libéré de son carcan de figures idéales, romanesques ou mythologiques.

Les Étés de la Danse - San Francisco Ballet

San Francisco Ballet - Piano Concerto 1 © Erik Tomasson.
San Francisco Ballet - Piano Concerto 1 © Erik Tomasson.
Avec l’orchestre Prométhée.

"Caprice"
Chorégraphie : Helgi Tomasson.
Musique : Camille Saint-Saëns (Symphonie n°2 en la mineur, op 55 - 1859 ; Adage de la Symphonie n°3 en ut mineur, op.78 - 1886).
Arrangements : Martin West.
Scénographie : Alexander V. Nichols.
Costumes : Holly Hynes.
Lumières : Christopher Dennis.
Durée : 35 minutes.
Avec : Maria Kochetkova, Davit Karapetyan, Isabella DeVivo, Jilian Harvey, Ellen Rose Hummel, Lauren Parrot, Elizabeth Powell, Julia Rowe, Max Cauthorn, Diego Cruz, Esteban Hernandez, Francisco Mungamba, Myles Thatcher, Wei Wang, Yuan Yuan Tan, Luke Ingham, Steven Morse, Hansuke Yamamoto.

"Agon"
Chorégraphie : George Balanchine.
Musique : Igor Stravinsky.
Lumières : Ronald Bates.
Durée : 30 minutes.
Avec : Thomas Bieszka, Luke Ingham, Pascal Molat, Shane Wuerthner, Frances Chung, Grace Shibley, Jennifer Stahl, Sofiane Sylve, Kimberly Braylock, Kristina Lind, Rebecca Rhodes, Shannon Rugani.

"Glass pieces"
Chorégraphie : Jérôme Robbins.
Musique : Philip Glass.
Décor : Jérôme Robbins et Ronald Bates.
Costumes : Ben Benson.
Lumières : Ronald Bates.
Durée : 29 minutes.
Avec : Sasha De Sola, Shannon Rugani, Grace Shibley, Luke Willis, Thomas Bieszka, Sean Orza, Kristina Lind, Tiit Helimets.

Du 10 au 26 juillet 2014.
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi à 15 h et 20 h.
Théâtre du Châtelet, Paris 1er, 0 1 40 28 28 40.
>> chatelet-theatre.com
>> lesetesdeladanse.com

Safidin Alouache
Mardi 22 Juillet 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024