La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Gelsomina", l'insondable étrangeté de l'être

"Gelsomina", Théâtre Essaïon, Paris

Reprise ! "Gelsomina, Gelsomina, Gelsomina…", prénom surgissant du lointain, jeté par une fratrie juvénile et ouvrant, sur fond de mer Adriatique, "La Strada", le film que Federico Fellini réalisa en 1954. Il est attaché à une ingénue lunaire, personnage principal de ce long métrage fondateur du cinéaste italien et en même temps son fil rouge, rouge comme le nez du clown qu'elle sera quelque temps.



© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
De ce chef-œuvre néoréaliste, Pierrette Dupoyet, avec les conseils du Maître de Rimini, en fit une adaptation théâtrale, sortant ainsi Gelsomina de son quasi-mutisme cinématographique en lui donnant un langage intensément poétique et imagé… Et une deuxième vie ! Fascinée par l'étonnant cheminement de ce petit oiseau effarouché, sublimé par la transposition de Pierrette, Nina Karacosta s'empare du rôle, lui donnant une profondeur et une intériorité insoupçonnée.

Que l'on connaisse ou pas l'épopée dramatique inscrite originellement dans le quatrième film fellinien, l'aventure poétique initiée par la comédienne est surprenante, menant à la découverte d'une Gelsomina sensible, insolite et mystérieuse. Car cette jeune fille qui va tenter de grandir, de devenir une artiste de foire (à la fois aimante et soumise à Zampano), garde sa part de mystère, de singularité et d'onirisme quasi surnaturelle, semblant perdu dans un monde inconnu, tant dans l'œuvre initiale que dans l'adaptation pour la scène.

L'accent étranger de Nina Karacosta (d'origine grecque), sa voix - par moments légèrement voilée ou en équilibre telle une fildefériste sur la fêlure -, ses gestes maladroits, ce regard au lointain, presque ailleurs, tout concourt à rendre intensément crédible, palpable son interprétation. Elle est là, devant nous, reprenant en femme orchestre cette aventure foraine, ce chemin poussiéreux de saltimbanques que foulent Zampano, Il Matto, le violoniste funambule, et les différents protagonistes, souvent hostiles, rarement indulgents vis-à-vis de Gelsomina.

© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
Que ce soit dans l'écriture de Pierrette Dupoyer (qui lui donne une parole) ou dans le jeu de Nina Karacota (qui en donne la lecture vivante), les silences, les expressions, les ressentis de Gelsomina tendent à sculpter petit à petit la vie de cet enfant quasi muette, naïve qui, à travers sa trajectoire tragique de l'abandon d'enfance, éclaire une part de notre inhumanité, notre réticence à la différence, tout en nous amenant à découvrir cette capacité qu'elle a à transformer positivement une existence médiocre en amour, en apothéose, portant cet espoir que derrière toute vie, même absurde, pourrait bien se cacher un sens, un absolu.

Par son texte, Pierrette Dupoyet donne un éclairage particulier sur le personnage singulier de Gelsomina, mettant en exergue la simplicité, la naturalité, la sensible beauté de cette jeune âme au centre de l’immortel chef-d’œuvre de Fellini. Et Nina Karacosta, instrument de l'art théâtral et instrumentiste virtuose de son corps et de sa voix, entrouvre le voile de l'insondable étrangeté d'un être dont la différence est le fondement… Comme un appel à la tolérance et à la bienveillance constructive.

"Gelsomina"

© Rachele Casseta.
© Rachele Casseta.
Texte : Pierrette Dupoyet.
Librement adapté du film "La Strada" de Federico Fellini.
Mise en scène : Driss Touati.
Avec : Nina Karacosta.
Création lumières : Xavier Duthu.
Chorégraphie : Claire Gérald.
Sonorisations : Fabrizia Barresi.
Dispositif scénique : Brigette Burns, John Pavlou, Jean Lorisson, Nicolas Prier.
Assistants musique (trompette) : Ignacio Ferrera, Michel Barré.
Costume : Pascaline Suty.

Reprise
Du 6 Octobre 2016 au 14 Janvier 2017.
Jeudi, vendredi et samedi à 21 h 30.
Théâtre Essaïon, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com

Jusqu'au 3 juillet 2016.
Samedi à 17 h et dimanche à 19 h.
Studio Hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Gil Chauveau
Jeudi 29 Septembre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023