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Théâtre

FAB 2019 "Gentry" Processus de lessivage des classes populaires… bénéficiaires cocus du ruissellement annoncé ?

Accueillis, au centre et à la périphérie d'un espace ceint de quatre écrans géants où défilent des vidéos de Barcelone la Magnifique, les spectateurs deviennent habitants d'un territoire en pleine rénovation. In vivo, ils sont conviés à faire l'expérience grandeur nature des heurs et malheurs de la "réhabilitation" et de ses effets collatéraux.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Oh les beaux jours ! Quel gain d'attractivité a gagné Barcelone aux yeux de grands groupes financiers, soucieux de leur image et de la rentabilité à tirer d'une ville en plein essor. Qu'elles sont attrayantes ces promenades serpentant entre des immeubles flambant neufs et des boutiques design ; qu'il est bon, au touriste de passage, naturellement friand de tapas et de vie trépidante, de se relaxer dans un appartement fraîchement rénové du centre historique…

L'amélioration de l'habitat et de son environnement a fait littéralement exploser le capital séduction de la capitale catalane et ce, pas uniquement aux yeux des magmas de la finance… En libéralisant l'accès aérien à prix ridiculement bas, en créant des appels d'air autour de plateformes spécialisées proposant à prix "raisonnable" des locations éphémères, le tourisme de masse a créé de nouveaux besoins s'ajoutant à ceux voraces des investisseurs.

Bien sûr cela a un prix, celui de l'embellissement… dont le coût exorbitant est à supporter par ceux et celles qui n'en bénéficieront pas (logique capitaliste oblige, les gains reviennent à ceux qui investissent…). Ainsi le centre historique et ses quartiers prisés, enjeux de rentabilité assurée, voient le prix de leurs loyers flamber, excluant de facto le maintien des populations locales.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Se transformant en champ de bataille contemporaine, avec ses rénovations "à la pelle" et ses excavateurs détruisant les bicoques décrétées insalubres pour faire place à la Cité rayonnante, la ville sans état d'âme rejette ses résidents historiques, devenus personæ non gratæ, et qui n'ont qu'à plier bagage pour aller voir ailleurs s'ils existent.

Adeptes d'un théâtre documentaire "parlant", écouteurs vissés aux oreilles, les trois comédiens "répètent" avec verve et conviction les témoignages recueillis à Barcelone, mais aussi à Venise et Berlin, autant de paroles colorées par l'émotion et/ou de discours bien formatés, émanant de nombreux acteurs de terrain (urbanistes, avocats, hôteliers, journalistes, anthropologues, habitants, activistes, etc.) concernés directement. Se mêlent à ces propos pris sur le vif, les ressources d'une dramaturgie convoquant musiques et danses, le tout mâtiné de témoignages vécus ici et maintenant par les adeptes du Glob Théâtre de Bordeaux.

Ainsi, après avoir été conviés à danser frénétiquement afin de bénéficier pleinement des effets festifs de la requalification, des spectateurs - les mêmes mais investis d'un autre "rôle" - assis sur des cubes luminescents dont les éclairages passent soudainement au rouge, se voient poliment invités à dégager illico presto le centre pour rejoindre la périphérie, éprouvant dans leur corps déplacé le verso de la gentrification.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
L'expérience vécue en temps réel, loin du paradis des tapas et autres gadgets contemporains proposés en veux-tu en voilà, prend alors valeur d'épreuve constructive d'une prise de conscience, celle des dégâts collatéraux produits par cet épiphénomène de la réhabilitation dont le nom dérive du chic vocable anglais de "gentry", et dont les effets concrets sont de vider des quartiers entiers de leurs forces vives.

Ainsi en va-t-il des effets pervers de la gentrification - présentée par les politiques comme un agent de pacification, voire d'assainissement des îlots vétustes à expurger de leurs junkies, prostituées et autres indésirables - et qui se révèle être l'alliée inattendue des courtiers du capitalisme assimilant le monde à une vaste marchandise.

De plus en plus de Barcelonais modestes - rendus insolvables par la flambée des loyers qu'aucune réglementation ne vient réguler - en font les frais, condamnés à l'expulsion sans même l'espoir du répit d'une trêve hivernale. Theatre reality ludique et percutant, la proposition immersive de "Gentry", et de son très actif et imaginatif collectif catalan Mos Maiorum, fait sens. "Réhabiliter", disiez-vous ?

"Gentry"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Cie Mos Maiorum, spectacle en catalan surtitré en français - 1ère française.
Direction artistique et interprétation : Mariona Naudin, Ireneu Tranis, Alba Valldaura.
Dramaturgie : Marc Villanueva.
Regard extérieur : Monica Almirall.
Scénographie : Clàudia Vilà.
Vidéo : Ventura Lopez Kalasz.
Design sonore : Guillem Llotje.
Costumes : Adriana Parra.
Lumières : Pol Queralt.
Durée : 1 h 20.
À partir de 14 ans.

A été représenté dans le cadre du FAB du 17 au 19 octobre 2019 au Glob Théâtre, Bordeaux (33).
Le FAB s'est déroulé du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com

Tournée 2020
Du 16 au 19 et du 23 au 26 janvier 2020 : Antic Teatre, Barcelone (Espagne).

Yves Kafka
Jeudi 31 Octobre 2019

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

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Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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Brigitte Corrigou
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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023