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Théâtre

Béatrice Dalle est Lucrèce Borgia... Naissance d'une Pasionaria au lyrisme baroque et envoûtant

"Lucrèce Borgia", Château de Grignan, Grignan (Drôme)

Pour son premier rôle au théâtre, Béatrice Dalle bouscule les codes du genre et donne à voir, dans une mise en scène de David Bobée, une Lucrèce Borgia pasionaria, entière et guerrière, baroque voire gothique... mais étonnamment généreuse et empreinte d'une sincérité bouleversante. Une première qui fleure bon la réussite grâce également à une distribution pleinement engagée dans le pari de Bobée d'un spectacle plus esthétisant et imagé que purement littéraire.



© Francis Rey.
© Francis Rey.
Chaque année depuis vingt-six ans, le château de Grignan - qui fût un temps la magnifique et épistolaire résidence de Madame de Sévigné - offre son architecture Renaissance pour majestueux décor à une création théâtrale produite par le Département de la Drôme. Cette action départementale originale s'inscrit dans la droite ligne du théâtre populaire et de la culture pour tous... Les élus semblent avoir compris ici que le développement culturel est un puissant levier de développement social, économique et touristique.

Après les succès répétés des précédentes mises en scène, dont "Les femmes savantes" de Molière par le québécois Denis Marleau (2012) et d'une "Chatte sur un toit brûlant" de Tennessee Williams par Claudia Stavisky (2013), c'est au tour de David Bobée d’apposer sa signature sur l'imposante façade de la prestigieuse demeure de plaisance de la famille des Adhémar.

© Francis Rey.
© Francis Rey.
Celui-ci a choisi Lucrèce Borgia qui, depuis plus d'un an, a posé à nouveau sa sombre silhouette sur les scènes hexagonales. De la gracieuse Marina Hands au Théâtre de l'Athénée à l'original Guillaume Galienne sur le plateau de l'illustre Comédie Française, en passant par la gentille Nathalie Richard au Théâtre de la Commune, toutes s'essayent à la sulfureuse empoisonneuse. Mais l'interprétation la plus rock'n roll est sans aucun doute celle de l'égérie gothique, passionnante et passionnée du cinéma français : Béatrice Dalle.

Quel étonnant pari - réussi ! - que celui de David Bobée proposant à la flambée et flamboyante actrice de monter - à quarante-neuf ans - pour la première fois sur scène. La belle et insoumise inclassable ne rate pas son baptême scénique en se jetant à corps perdu dans cette relecture du personnage de Lucrèce Borgia... Puissante... Mais curieusement pleine de fraîcheur aussi, entourée qu'elle est d'une horde de jeunes loups acrobates, danseurs et talentueux comédiens.

© Francis Rey.
© Francis Rey.
Telle une pasionaria, vouant ici un culte tantôt à la rédemption, tantôt à la plus violente des cruautés, Béatrice Dalle emporte le public dans sa démence dramatique... mais telle une louve, entre mère et amante, avec une incroyable grâce et une sincérité non feinte. Droite dans sa robe noire aux reflets de ténèbres, reine hydre face à la plèbe, fragile et aimante face à son fils Gennaro, elle irradie, magnétique, ses désordres et ses passions. Béatrice Dalle impose avec talent sa présence en permanent contraste à la fringante et tempétueuse jeunesse des amis de Gennaro.

Dans une mise en scène millimétrée, aux élans théâtraux plus picturaux et imagées que purement littéraires, David Bobée dessine des images en eaux-fortes, tableaux esthétiques gravant ainsi la stature de cette femme fière et forte dans un monde d'hommes et correspondant à chaque grande situation séquençant le texte de Victor Hugo. Il offre à notre comédienne novice un écrin couleur flamme et sang posée dans un bassin à l'eau noire, entre acqua alta toute vénitienne et acquaforte toute dantesque.

© Francis Rey.
© Francis Rey.
La troupe accompagnant Béatrice Dalle est à la hauteur, entre rock et hip hop - accompagnée par les chants "pop-folk-grunge" de Butch McKoy - ; déchaînée, à l'énergie juvénile et insolente en diable, avec Pierre Cartonnet (l'une des révélations de ce spectacle) dans le rôle de Gennaro, fils de Lucrèce, et la bande très urbaine d'acteurs-voltigeurs virtuoses interprétants la jeunesse vénitienne.

Dans les trois rôles plus "matures" - Gubetta, l'âme maudite de Lucrèce ; La Negroni, princesse croqueuse d'hommes et Don Alfonse, mari de la belle cruelle -, Catherine Dewitt, Jérôme Bidaux et Alain D’Haeyer joue avec une grande précision une partition "enlevée" à la juste note sur la portée tragique de la libre, belle, fière et impétueuse Lucrèce Borgia/Béatrice Dalle.

La pièce soulève l'enthousiasme du public provençal trop heureux de voir ainsi Victor Hugo insolemment rajeuni et Béatrice Dalle faire monter les fièvres nocturnes drômoises... bien au-delà des 37°2 syndicaux.

"Lucrèce Borgia"

© Francis Rey.
© Francis Rey.
"Lucrèce Borgia"
Texte : Victor Hugo.
Mise en scène et scénographie : David Bobée.
Assistanat à la mise en scène et dramaturgie : Catherine Dewitt.
Avec : Béatrice Dalle (Lucrèce Borgia), Pierre Cartonnet (Gennaro), Alain D’Haeyer (Don Alfonse d’Este), Radouan Leflahi (Jeppo), Marc Agbedjidji (Oloferno), Mickaël Houllebrecque (Ascanio), Juan Rueda (Apostolo), Pierre Bolo (Maffio), Jérôme Bidaux (Gubetta), Marius Moguiba (Rustighello), Catherine Dewitt (La Negroni).
Composition musicale et chant : Butch McKoy.
Régie générale : Thomas Turpin.
Création lumière : Stéphane Babi Aubert.
Création musique : Jean-Noël Françoise.
Création vidéo (en tournée seulement) : José Gherrak.
Conception et construction des décors : Salem Ben Belkacem.

Les Fêtes Nocturnes - Château de Grignan.
Du 26 juin au 23 août 2014.
Les 26, 28, 30 juin et les 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 24, 25, 29, 30, 31 juillet et les 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22, 23 août.
Ouverture du château et des jardins à 19 h 30. Accès aux gradins à partir de 20 h 30. Début du spectacle à 21 h.
Château de Grignan, Grignan (26), 04 75 91 83 65.
>> chateaux.ladrome.fr

Tournée octobre 2014 - mai 2015.
Reprise du 15 au 18 octobre 2014, Maison des Arts, Créteil (94).

Gil Chauveau
Vendredi 8 Août 2014

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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