La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Dangereuse ivresse, mais où est le flacon ?

Salle comble au Théâtre de L’Oulle pour "La Pitié dangereuse", d’après le célèbre roman de Stefan Zweig. Un spectacle où le texte et l’interprétation se rencontrent dans les hauteurs mais dont la mise en scène, malheureusement, reste la grande absente.



Élodie Menant © DR.
Élodie Menant © DR.
Au départ de ce projet-ci, il y a un coup de cœur de la comédienne Élodie Menant pour le roman de Zweig. La volonté de l’adapter pour le théâtre et d’en interpréter le premier rôle suivit immédiatement. Défi littéraire et artistique parfaitement relevé ! L’histoire se passe en Autriche en 1913 et relate la rencontre entre Édith, jeune femme paralysée des jambes, et Anton, jeune lieutenant de cavalerie. Pris de pitié, celui-ci accepte de tenir compagnie à la jeune femme qui tombe amoureuse de lui au fil de ses visites quotidiennes. Le dénouement de cette relation sera le jeu encore une fois de l’influence des conventions sociales et du regard de l’autre, mais aussi du danger de la confrontation de deux sentiments aussi forts que l’amour et la pitié…

La première réussite incontestable de ce spectacle est la qualité de l’adaptation théâtrale de ce roman, tâche délicate, ô combien ! Élodie Menant, en effet, réussit à conserver toute la finesse des relations entre les différents personnages en faisant le choix de laisser la part belle aux silences et aux sous-entendus, si importants au théâtre et qui permettent de retranscrire habilement les analyses psychologiques propres au roman. Le texte est délicat, subtil, chaque mot semble pesé et toute l’atmosphère est là, dans un rythme néanmoins soutenu.

Le décor minimaliste, constitué de quelques éléments de mobilier, fait quand même un peu pauvre, mais les yeux se réjouissent de la beauté des costumes d’époque. Les choix musicaux, en revanche, ne sont pas très inspirés et souffrent de fondus trop brusques. Une fois ces légers désagréments acceptés, il n’y a plus qu’à savourer l’interprétation de cette superbe troupe de comédiens.

Arnaud Denissel, Salima Glamine, Élodie Menant © DR.
Arnaud Denissel, Salima Glamine, Élodie Menant © DR.
Élodie Menant, en tête, incarne une Édith touchante, pleine de beauté et de grâce. La sincérité de ses pleurs et de sa faiblesse nous vrille le cœur. À ses côtés, Arnaud Denissel est très convaincant dans le rôle de cet officier tiraillé et on apprécie particulièrement son aisance corporelle. Gilles Janeyrand (qui nous avait déjà enchantés il y a quelques années dans Le Joueur d’échecs de Zweig également) joue avec talent un père fatigué et aimant dont la voix douce n’est pas dénuée de tempérament. Il faut saluer également le remarquable David Salle, comédien peu habitué à ce genre de registre, mais qui compose un formidable docteur Condor, subtil et pince-sans-rire, qui apporte beaucoup au rythme de la pièce.

Et dans tout ça, qu’a fait le metteur en scène Stéphane Olivié Bisson ? Peu de choses, malheureusement… À part peut-être d’avoir permis la rencontre entre ce texte et ces comédiens, et de s’être effacé (un peu trop) pour laisser ses interprètes nous offrir cette histoire poignante et passionnante avec brio.

"La Pitié dangereuse"

Arnaud Denissel, Élodie Menant © DR.
Arnaud Denissel, Élodie Menant © DR.
(Vu le 18/07/2011)

Texte : Stefan Zweig.
Adaptation : Élodie Menant.
Mise en scène : Stéphane Olivié Bisson.
Avec : Arnaud Denissel, Élodie Menant, David Salles, Gilles Janeyrand, Salima Glamine.
Costumes : Charlotte Winter et Cécile Choumiloff.
Décor : Linda Pérez.
Lumières : Christian Pinaud.

Du 8 au 31 juillet 2011.
Théâtre de l’Oulle, 19 place Crillon, Avignon.
Réservations : 04 90 86 14 70.
www.avignonleoff.com

Mickaël Duplessis
Jeudi 21 Juillet 2011

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024