La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La Demande d'emploi"… Employons à employer !

"La Demande d'emploi", Théâtre de l'Épée de Bois, Paris

Vinaver nous plonge dans le monde de l'entreprise où la frontière entre vie professionnelle et vie privée est ténue. Les comédiens s'inscrivent tout en vitalité et hardiesse imaginative dans la mise en scène de René Loyon où la scénographie marie le monde domestique et celui de l'entreprise.



© Lot.
© Lot.
L'entretien d'embauche, voilà la situation que bon nombre d'entre nous, comme l'auteur de cette critique, ont vécue avec, selon les tempéraments, entrain, confiance ou la gorge (cravate comprise) nouée.

Ayant été, entre autres, PDG de Gillette, Michel Vinaver nous fait découvrir les ressorts qui peuvent être retors dans cet exercice. Des mises en situation sont faites autour de Fage (Julien Muller), cadre sup au chômage, de sa vie autant professionnelle que privée pour connaître ses limites et ses potentialités.

Ce mélange des genres n'en est pas un car Vinaver montre la porosité entre vie professionnelle et vie privée. La mise en scène de René Loyon s'appuie sur une scénographie de Nicolas Sire où les espaces, privé et professionnel, se recoupent. Ils interagissent grâce aux dialogues qui se chevauchent et où Fage se trouve, par recoupement, candidat à un poste, père ou mari. La qualité de tous les comédiens est indéniable avec notamment Pierre-François Garel (Wallace) qui nous offre une interprétation fine, de qualité ; et une capacité à basculer dans différents états émotionnels de façon singulière et vive.

© Lot.
© Lot.
Le professionnel investit le privé, une perméabilité sans fard s'étale entre les deux mondes. Le candidat devra être l'époux, l'amant de son entreprise et son compagnon de route. Et non de lutte. J'exagère ? À peine car le regard que porte Vinaver sur le monde de l'entreprise est un regard acéré sur les enjeux professionnels qui modèlent, parfois ou souvent, les enjeux personnels.

La vie professionnelle devient le reflet asymétrique, parfois inverse, de la vie privée et est vue comme un miroir sans tain où les défauts et les limites caractérielles ne sont pas de bonne compagnie. Superman d'un côté, Dupont de l'autre, Fage doit incarner le premier caractère au bureau et subir le second dans sa vie familiale.

C'est un rapport biaisé, bancal car Fage est poussé dans ses limites par Wallace sans que celui-ci, ou l'entreprise qu'il représente, ne le soit. Entre interviewé et intervieweur, c'est le jeu de "Je te pose des questions pour savoir si tu vas bien répondre à des situations auxquelles moi-même je ne saurai pas répondre". L'intitulé est long ? Sans doute, mais c'est une situation-quiproquo où intervieweur-interviewé sont pile et face d'une même pièce qui se joue dans le théâtre de l'entreprise.

Le chômage de masse est une maladie sociale qui frappe notre société depuis plus de quarante ans. L'âge de cette pièce.

"La Demande d'emploi"

© Lot.
© Lot.
Texte : Michel Vinaver.
Mise en scène : René Loyon.
Dramaturgie : Laurence Campet.
Avec : Valentine Galey, Pierre-François Garel, Olivia Kryger, Julien Muller.
Décor : Nicolas Sire.
Lumières : Laurent Castaingt.
Régie générale : François Sinapi et Manon Geffroy.
Durée : 1 h 35.

Du 24 septembre au 18 octobre 2015.
Jeudi et vendredi à 20 h 30, samedi à 16 h et 20 h 30, dimanche à 16 h.
Théâtre de l'Épée de Bois, Salle en bois, Cartoucherie, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Safidin Alouache
Lundi 5 Octobre 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024