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Théâtre

Le château de Grignan s'espagnolise avec le Victor Hugo politique… et son Ruy Blas

"Ruy Blas", Fêtes Nocturnes de Grignan, Drôme

Avec "Ruy Blas", Hugo s'ingénie à tresser le cercle vicieux du pouvoir. Il met en place un système qui fait ressembler tous les personnages à des poupées matriochka. Ôter une apparence, c'est un autre visage qui apparaît. Ainsi, chaque personnage important de ce réquisitoire contre la corruption n'est que l'instrument de quelqu'un d'autre ou de quelque chose, à l'intérieur de lui-même, manipulateur et manipulé. Mais à la fin de ce jeu de dupe, ce sont les humbles qui payent le prix fort



© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Tout est affaire de costume dans cette Espagne rêvée de la fin du XVIIe siècle, et Yves Beaunesne l'impose dès l'ouverture du spectacle avec l'envol d'une livrée de domestique du haut des fenêtres du château. Elle s'étale sur scène. Elle est ramassée par un jeune homme qui la trouve à sa taille : voilà Ruy Blas, domestique, de par l'habit, libre de par l'esprit, captif de par son amour pour la reine, raison pour laquelle il vêt cette condition.

Pour résumer l'état de ce royaume : le roi n'est qu'une abstraction puisqu'il passe sa vie à la chasse ; la reine, une icône enfermée pire que dans un sérail, impuissante ; Don Saluste, répudié apparemment mais gardant fortune et pouvoir sous le manteau, Ruy Blas, tour à tour, esprit libre, valet, tout-puissant, valet… Les titres sont vides de sens, l'apparence et les habits sont essentiels, le chantage et l'absence de vertu dirigent.

Toute la mise en scène d'Yves Beaunesne s'appuie sur ce constat de l'apparence, du costume, et de la marionnette qui porte ce costume. Les habits des comédiennes et des comédiens, créés par Jean-Daniel Vuillermoz, sont ornementés de broderies, d'ors et autres dentelles d'apparat. Ils sont autant statut social qu'engoncement. Mais cela brille comme une cour rêvée, brillante, régulièrement accompagnée par les musiques et les chants baroques de Camille Rocailleux directement interprétés en bord de scène. Cela brille comme brillent les saillies et l'esprit puissant et amusé de Victor Hugo. Ce jeu de dupe mis en avant éloigne le drame et met en valeur les scènes de "haut comique" - un véritable régal pour Jean-Christophe Quenon qui étincelle dans le rôle du vrai Don César.

© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Le reste de la distribution est également de grande qualité et chacun parvient à marquer la partition de sa personnalité. Partition est le mot juste pour ces comédiens et comédiennes qui offrent de très purs moments de chant et de musique. Seul le rôle de la reine, interprété par Noémie Gantier, détonne un peu dans cet ensemble harmonieux, avec une infantilité étrangement forcée. Il reste que le spectacle est riche de scènes enlevées et que cette cour d'Espagne se greffe parfaitement aux pierres du château de Grignan.

Mais pour Victor Hugo, cette cour n'est qu'un prétexte. En choisissant l'Espagne du siècle passé, il prend lui aussi une cape d'invisibilité qui lui permet sous le drame romantique, de charger une critique virulente contre Louis-Philippe au pouvoir à l'époque. Même si la trame est émouvante ; un aventurier devenu laquais pour approcher d'une reine qu'il aime et qui s'ennuie, un aventurier aimé en retour, élevé par cet amour presque en chef de gouvernement, sorte d'amoureux révolutionnaire par son intégrité qui parvient à purger la corruption d'un gouvernement indigne… la romance pèse moins lourd que l'analyse des manipulations et la critique cinglante de la politique.

"Ruy Blas"

© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Texte : Victor Hugo.
Mise en scène : Yves Beaunesne.
Assistants(es) à la mise en scène : Pauline Buffet, Jean-Christophe Blondel et Laure Roldàn.
Dramaturgie : Marion Bernède.
Avec : Théo Askolovitch, Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Feron, Noémie Gantier, Fabienne Lucchetti, Maximin Marchand, Guy Pion, Jean-Christophe Quenon, Marine Sylf.
Musiciennes : Anne-Lise Binard et Elsa Guiet.
Scénographie : Damien Caille-Perret.
Création costumes : Jean-Daniel Vuillermoz.
Lumières : Nathalie Perrier.
Création musicale : Camille Rocailleux.
Maquillages, coiffures et masques : Cécile Kretschmar.
Maître de chant : Haïm Isaacs.
Durée : 2 h 20.

© Guy Delahaye.
© Guy Delahaye.
Les Fêtes Nocturnes
Du 8 juillet au 24 août à 21 h.
Château de Grigran, Grignan (26).
Tél. : 04 75 91 83 65.
https://www.chateaux-ladrome.fr

Tournée
8 au 10 octobre 2019 : Théâtre d'Angoulême, Scène nationale, Angoulême (16).
16 au 19 octobre 2019 : Odyssud, Blagnac (31).
5 et 6 novembre 2019 : Théâtre Firmin Gémier/La Piscine, Scène nationale, Châtenay-Malabry (92).
5 et 6 novembre 2019 : 12 au 15 Théâtre de Liège (Belgique).
19 au 23 novembre 2019 : Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13).
26 novembre 2019 : Théâtre de L'Olivier, Istres (13).
5 et 6 décembre 2019 : Théâtres de la Ville de Luxembourg.
16 au 20 décembre 2019 : La Manufacture, Centre dramatique national, Nancy (54).
8 au 18 janvier 2020 : Théâtre de la Croix Rousse, Lyon (69).

Bruno Fougniès
Vendredi 5 Juillet 2019


1.Posté par Y le 13/08/2019 07:35
J’aurai aime partagé l’enthousiasme de cet article.
Hélas, je n’ai vu hier que deux heures et plus de comédiens qui ne fonctionnent que sur le mode de l’exaltation bruyante, vocifèrent dans un jeu fait de tournoiements en bord de scène.
Trouvez-moi un spectateur qui ait ressenti la détresse de la reine, un autre qui ait partagé les affres de Ruy Blas…

On ne ressent rien car rien n’est incarné… en absence d’une direction d’acteur audacieuse, l’intention est remplacée par l’énergie… et c’est insuffisant.
C’est au mieux joue comme une farce amputee de toute ambition politique, sociale et même de faire rire, autrement que par des cabotinages grossiers.

Un des pires spectacles de ces dernières années…

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

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Bruno Fougniès
15/10/2023