La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Là"… Énigmatique et puissant !

Pour "Là", premier volet de leur dyptique "Là, sur la falaise", Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, accompagnés d'un corbeau-pie, font découvrir un univers étrange et captivant dans une création d'une grande originalité où les murmures et les sons se marient aux chants lyriques et à la musique. De même, le temps, dans chacun de ses instants, et le silence se lient pour mettre en exergue la finitude des êtres.



© Francois Passerini.
© Francois Passerini.
Lumière sur les planches avec trois murs disposés côtés cour et jardin et en arrière-scène. Ils sont recouverts d'un voile blanc. Un poing sort de celui situé côté cour. Puis un membre, ensuite le corps entier d'un homme (Blaï Mateu Trias) dans son costume sombre tacheté de blanc. Il tombe à la renverse. Plus loin, du même mur et dans une autre fissure, une touffe apparaît, puis une masse de cheveux qui s'agite, prend forme pour faire apparaître une tête. Une femme (Camille Decourtye) en sort à la bascule. Ces entrées montrent une perception de l'espace qui est tout sauf naturelle. C'est par une violence exercée, comme s'ils étaient enfermés, que nos protagonistes arrivent. D'où viennent-ils ? Ont-ils choisi ce lieu ? Il semble le découvrir.

Durant tout le spectacle, l'équilibre est recherché. Car tout n'est que déséquilibre pour atteindre un état stable à la fin. Chacun se cherche pour se trouver et créer un lien avec son alter ego. Seul le corbeau-pie paraît être, paradoxalement, dans son élément. Il traverse, au début, la scène de long en large et, avec son long bec, déchiquète le bout de papier avec lequel l'homme souhaitait s'exprimer. L'animal prend ainsi l'ascendant sur l'humain.

© Francois Passerini.
© Francois Passerini.
Rien que le corbeau-pie crée déjà une ambiance, celle d'une surprise, d'un comique de situation et d'un rapport à l'environnement, pour le volatile, énigmatique. À l'image de celui des interprètes. L'univers est particulier, presque étrange avec ses sons et ses présences. Nous sommes dans l'instant où le moindre souffle, sourire, gêne, propos, balbutiement, attitude font événements et prennent une résonance particulière car le silence et la dualité des couleurs, faite de noir et de blanc, l'habillent d'un clair-obscur mystérieux. Chaque instant fait écho à lui-même et aux suivants, comme s'il se suffisait, qu'il était son propre miroir, perçu toutefois autant par le public que par le(s) protagoniste(s). Une mise en abîme où le temps devient compagnon et questionnement.

L'absurde est aux commandes aussi avec des paroles à moitié dites. La vérité se confine à un mi-dire d'après Lacan (1901-1981). Elle ne se dit pas toute. L'absurde apparaît aussi dans la déconstruction du langage et dans les situations où chaque personnage se rend compte de son espace en intégrant progressivement la présence de l'autre. Il s'agit de s'apprivoiser, de prendre conscience de soi pour appréhender l'environnement et créer une relation avec l'autre.

Le séquencement avec un début et une fin peut être difficilement appliqué pour cette création. Car le spectacle ne démarre pas à un moment plus qu'à un autre. Il est, à dessein, recommencements, tâtonnements presque violents parfois. Ce théâtre se décompose verbalement, vocalement et physiquement. Tout est irrigué autour d'eux et chacun a son propre tempo. Le corps fait d'abord son apparition. Les deux interprètes font irruption dans les lieux en le détruisant, en partie, pour exister. Puis, chacun, à sa manière, va mettre de la peinture noire sur tous les murs, via leur costume et un micro. Comme leur signature ou leur empreinte.

Cette appropriation de l'espace, qui les avait enfermés, couronne une prise de possession de celui-ci. Car, avec le corps et la voix, ils deviennent des outils de médiation entre les deux artistes. C'est avec le second et grâce au premier qu'ils se rencontrent. Le troisième permet la perception de leur soi, de cette "voie" intérieure qui se fait entendre comme après un long sommeil.

© Francois Passerini.
© Francois Passerini.
Les voix gagnent en puissance, les mots qui se cherchaient se trouvent. Ce qui était murmure et vocalise devient colère, chant lyrique et duo. Ce que chacun rejetait de l'autre violemment se retrouve être appréhendé amicalement, lorsque la femme relève l'homme quand il chute, voire amoureusement à la fin où, en haut des murs, ils toisent la scène et s'embrassent. Le corbeau-pie, qui faisait un peu la pluie et le beau temps au début, disparaît de plus en plus pour réapparaitre ensuite, mais apprivoisée, posée sur le bras ou la tête de la femme. Comme sont apprivoisés les lieux, les éléments qui les entourent et l'alter ego qui devient enfin un partenaire.

La création est énigmatique, étonnante, presque déroutante. Une vraie réussite dans une mise en scène où le silence devient un personnage, servi avec maestria par le jeu des acteurs.

"Là"

Premier volet du dyptique "Là, sur la falaise".
Auteurs et artistes interprètes : Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias avec le corbeau-pie Gus.
Collaboration à la mise en scène : Maria Muñoz - Pep Ramis/Mal Pelo.
Collaboration à la dramaturgie : Barbara Métais-Chastanier.
Scénographie : Lluc Castells assisté de Mercè Lucchetti.
Collaboration musicale et création sonore : Fanny Thollot.
Création lumières : Adèle Grépinet.
Création costumes : Céline Sathal.
Musique enregistrée : Joel Bardolet (arrangements des cordes), Jaume Guri, Masha Titova, Ileana Waldenmayer, Melda Umur.
Construction : Jaume Grau et Pere Camp.
Régie lumières et générale : Coralie Trousselle, Mathilde Montrignac ou Enzo Giordana.
Régie plateau : Cyril Turpin ou Benjamin Porcedda.
Régie son : Brice Marin ou Fred Bühl.
Direction technique : Nina Pire.
Production : Baro d'evel.
Durée : 1 h 10.

Du 16 février au 5 mars 2022.
Du mardi au samedi à 20 h 30.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Safidin Alouache
Lundi 28 Février 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023