La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Flames to dust" du collectif berlinois Henrike Iglesias à Vienne utilise le smartphone pour réfléchir sur la finitude

Quel meilleur moyen permet de sonder l'intimité mieux que le smartphone qui nous est constamment proche ? Le spectacle interactif du collectif queer féministe berlinois Henrike Iglesias invite les spectatrices et spectateurs à se confronter à leur mortalité… en regardant les écrans de leurs smartphones. Une soirée originale et intimiste, d'un format captivant.



© Dorothea Tuch.
© Dorothea Tuch.
"Why do all good things come to an end ? (Pourquoi les bonnes choses ont-elles une fin ?)", tel est le slogan de la performance "Flames to dust" du collectif queer féministe berlinois Henrike Iglesias (Anna Fries, Laura Naumann, Marielle Schavan, Sophia Schroth, Eva G. Alonso et Malu Peeters). Le titre et le slogan sont tirés de la célèbre chanson de Nelly Furtado, "All Good Things", jouée pour marquer le changement des phases de la performance interactive. Les spectatrices et spectateurs, dont le nombre est très limité, sont invités à participer avec leurs smartphones qui occuperont la place centrale dans le spectacle.

En entrant dans la petite salle du brut nordwest dans le 20e district de Vienne, on est accueilli par les membres de l'ensemble qui leur donnent les instructions sur le smartphone : le son et la luminosité de l'écran au maximum, le mode "ne pas déranger" activé. Le public s'installe ensuite sur les bancs encadrant la scène puis chacun et chacune doivent scanner le code QR à leurs pieds qui leur permettra d'accéder à la plateforme collective de la performance. Les smartphones forment dès lors une grande constellation et peuvent recevoir le son et les instructions du centre de régie.

© Dorothea Tuch.
© Dorothea Tuch.
La performance est construite comme une boucle. Les performeuses Marielle Schavan et Sophia Schroth, habillées en costumes futuristes, introduisent le contexte d'une phrase, moment pendant lequel les tuyaux par terre émettent un brouillard de glace sèche simultanément avec le refrain d'"All Good Things" ; les smartphones des spectatrices et spectateurs reçoivent promptement des questionnaires autour des thèmes de la vie et la mortalité, pour lesquels certains sont invités à donner des réactions spécifiques (par exemple, "le numéro 20 doit maintenant choisir le bruit de fond" et certains numéros reçoivent des artistes des parties du décor qu'ils doivent mettre au milieu de la scène).

Les performeuses reçoivent un "appel" et discutent sur des sujets prétendument personnels (ou sont-ils vraiment personnels ?) et, ensuite, elles jouent l'une pour l'autre la mort qui vient soudainement en disant "il est temps" qui suscite la réaction de l'autre ; celles-ci reviennent à leurs places parmi les spectateurs et se préparent pour la nouvelle phase de la performance.

Avec chaque nouvelle phase, la performance plonge de plus en plus dans l'intimité : les artistes discutent des choses de plus en plus privées sur les souvenirs et la mort. Dans les phases plus intimes, on observe sur l'écran une conversation WhatsApp entre "tu" et "les amis" qui se remémorent, à la manière d'une boucle temporelle, sur l'arrivée à Berlin et l'inscription, la mémorisation qui s'ensuit, l'annonce d'une maladie grave, et ensuite une fausse couche.

© Dorothea Tuch.
© Dorothea Tuch.
Le questionnaire augmente en intensité : on commence par des questions détendues du type "de 1 à 10, à quel point es-tu heureux(euse) aujourd'hui ?", "es-tu fatigué(e) aujourd'hui ?" pour arriver, dans l'avant-dernière phase, aux questions très personnelles, voire intrusives - comme "es-tu d'accord avec la légalisation de l'euthanasie ?", "crois-tu que toi aussi, tu seras fini(e) un jour ?", "quand tu seras mort(e), seras-tu d'accord de faire don de certaines parties de ton corps ?" - qui pourraient sans doute mettre certaines personnes mal à l'aise (l'équipe est d'ailleurs bien consciente de ce risque et a annoncé dès le début qu'il était possible de partir quand on voulait).

Enfin, dans la dernière phase du spectacle, les réflexions sur la mortalité et la mort sont neutralisées par un retour à l'espoir : "qu'est-ce qui te soulage ?", "as-tu un message de départ qu'on puisse partager avec les autres ?". Quelques réponses sont bien drôles (quelqu'un aimerait bien se transformer en chat) et l'intégralité montre un grand désir de profiter de la vie. Cela est-il un effet de contrepoint après avoir réfléchi, pendant une heure et demie, sur la mortalité ? On ne saura jamais, mais le spectacle mérite certainement son accueil enthousiaste. En conclusion, tout le monde est invité à mettre leurs smartphones au milieu de la scène. Les écrans commencent tout de suite à clignoter en successions colorées : un rappel du lien temporaire qui s'est formé pendant le spectacle, une sorte de destin partagé.

"Flames to dust"

© Dorothea Tuch.
© Dorothea Tuch.
Performance interactive en anglais et allemand.
Concept, texte, performance : collectif Henrike Iglesias (Anna Fries, Laura Naumann, Marielle Schavan, Sophia Schroth, Eva G. Alonso et Malu Peeters).
Traduction anglais/allemand et sous-titrage : Naomi Boyce.
Coding et technologie créative : bleeptrack.
Costumes : Mascha Mihoa Bischoff.
Assistante de mise en scène et performance vocale : María Giacaman.
Support sonore : Lisa Eßwein.
Regard extérieur : Olivia Hyunsin Kim.
Création de céramiques : Lauriane Daphne Carl.

A été représenté du 9 au 11 février 2023 à brut nordwest, Vienne, Autriche.
>> brut-wien.at

Vinda Miguna
Mardi 14 Février 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024