La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Festival Traits d'Union #2 : "Une bouteille à la mer"

"Une bouteille à la mer", Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine

Une bouteille à la mer c'est l'histoire de Tal, une jeune Israélienne qui se questionne sur le monde, sur son pays et sur le conflit qui l'oppose à la Palestine. Comment peut-on autant détester un peuple sur lequel on ne sait rien, qu'on ne connaît absolument pas ?



© DR.
© DR.
Elle s'imagine correspondre avec une jeune fille de son âge qui lui expliquerait comment est-ce que c'est la vie à Gaza, car elle-même n'en a aucune idée, elle ne peut pas se le représenter. Elle s'interroge sur cette difficulté à comprendre l'autre alors que l'autre semble tellement proche…

Elle entreprend d'écrire une lettre à cette inconnue qu'elle a créée. Elles pourraient toutes deux se raconter leurs vies, peut-être même devenir amies… Le message une fois rédigé, Tal confie à son frère le soin de jeter la bouteille à la mer. Dans l'espoir que quelqu'un la découvre, dans l'espoir que quelqu'un lui réponde.

C'est Naïm, jeune gazaoui, qui se verra devenir le récepteur, puis le correspondant de ce mot, de cette suite de mots qui, tout d'abord, ne viennent de personne et qui n'appartiennent à personne, qui ne sont destinés à personne. Le message se révèle sous une forme d'agression : le jeune homme avait l'intention de s'allonger quelques instants sur le sable de la plage, pour se reposer, échapper à ces pensées.

© DR.
© DR.
Mais la bouteille cachée, presque enterrée, par une douleur exercée dans le dos, le rappela tout de suite à la réalité, le ramena aux atrocités du conflit Israélo-Palestinien et le confronta probablement bien plus à sa situation que ce qu'il envisageait. Naïm et Tal se mettent à échanger de plus en plus fréquemment et intimement via une adresse mail indiquée préalablement par la jeune femme.

Le jeu d'acteur est simple et touchant. Éva Freitas campe le rôle d'une jeune fille rêveuse et optimiste, qui s'insurge contre la haine qui sévit tout autour d'elle. Elle est une révoltée pacifique. Aurélien Vacher est Naïm, un personnage qui se révèle tel qu'il est grâce à l'attention de Tal. Cynique et railleur, c'est celui qui ne croyait plus en ce monde qui va se donner les moyens de sortir de celui-ci et refaire sa vie ailleurs, loin de la guerre.

Les comédiens ne se regardent jamais, ne communiquant et n'échangeant qu'à travers l'interface d'un écran d'ordinateur. Sur scène, leurs regards sont dirigés droit devant eux, sur le public. Le visage des deux artistes mime naturellement les différentes émotions par lesquelles passent leurs personnages. Le public se prend au jeu et s'attendrit de cette belle histoire qui oscille entre l'amour et l'amitié.

© DR.
© DR.
La scénographie illustre joliment la séparation qui existe entre les deux pays par une traversée de sable ainsi que des barbelés. La musique accompagne la trame tout au long du spectacle. Elle sublime l'intention de douceur qui se départage du contexte de différence et de violence. Sa fonction reste essentiellement de l'ordre de l'esthétique. Des images de la ville de Jérusalem sont projetées sur un écran en fond de scène. La volonté de mêler ce média audiovisuel au genre théâtral est peut-être de trop et donne une légère impression de chahut qui interfère avec la correspondance privée.

"Une bouteille à la mer" est une jolie histoire qui nous est contée, un peu naïve et enfantine, ce qui n'a rien d'étonnant lorsque l'on sait qu'elle est tirée du livre jeunesse "Une bouteille dans la mer de Gaza" de Valérie Zenatti. Le spectacle nous fait l'effet d'une berceuse que l'on se verrait chanter au moment de se coucher. La représentation nous berce, nous enveloppe dans un petit cocon chaleureux. "Une bouteille à la mer" est d'une belle et efficace simplicité.

"Une bouteille à la mer"

© DR.
© DR.
D'après le roman de Valérie Zenatti.
Mise en scène et adaptation : Camille Hazard.
Avec : Éva Freitas et Aurélien Vacher (comédiens) ; et Bastien Nouri.
Musique : Élie Petit.
Vidéos : Julien Vivante, Aymal Jamal Mghames, Camille Hazard.
Compagnie de Briques et de Craie.

A été représenté dans le cadre de "Traits d'Union", le festival de la jeune création, #deuxième édition Frontières.
Les jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2017 à 20 h 30
.
Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine, 01 46 71 52 29.
>> theatre-elduende.com

Ludivine Picot
Mercredi 17 Janvier 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024