La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Femmes de boue"… et toujours debout !

Dans une création pleine d'humour, le collectif "Femmes de boue", implanté à Bourges, traite de la condition féminine au travers de personnages tels que Marie, Médée, Diana ou Dorothée. Une déconstruction du regard patriarcal est effectuée, à l'aide d'un protocole de questions posées directement aux mères des comédiennes, faisant rejoindre ainsi plusieurs générations.



© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Quatre cubes blancs parfois arrosés de lumières vives sont côté cour. En arrière-scène, côté jardin, il y a une table habillée d'une nappe avec quelques verres, assiettes et une soupière. Tout est en blanc sauf les verres. Sur le cube situé le plus côté cour, une personne est assise. Avant le démarrage du spectacle, elle demande la participation de trois spectateurs pour une improvisation déjà actée qui se déroulera ensuite. Puis lumières.

C'est Dorothée (Fanny Pascaud), l'ancienne animatrice télé pour les enfants que les gens de moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Elle anime une émission autour de Médée (Coralie Émilion-Languille), Marie (Juliette Duret) la mère de Jésus, et Diana (Armelle Gerbault) pour traiter d'un sujet beaucoup débattu depuis trop peu de temps, celle de la place de la femme dans notre société occidentale mais qui remonte cette fois-ci jusqu'à la nuit des temps grâce aux invitées. C'est traité de façon drôle à l'aide d'un protocole de questions que les auteurs et comédiennes de cette pièce ont posé à chacune de leurs mères. On entend certaines de leurs réponses par microphone parfois.

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
C'est un découplage qui est effectué entre des personnalités célèbres, à une échelle de temps et de popularité extrêmement variée, joué aujourd'hui où le mouvement #Meetoo a permis une libéralisation de la parole des femmes, mais alimenté pour cette pièce par leurs mères. C'est ainsi un entrelacement très large d'époques et de générations qui pourraient avoir peu de rapport entre elles. Et pourtant. C'est celle de la condition féminine dans une société patriarcale et dans des registres aussi variés que le religieux et l'historique avec Marie, mythologique avec Médée, moderne avec Dorothée et politico-monarchique avec Diana qui n'est, à aucun moment, désignée en "Lady Di" pour la déshabiller de sa légende royale et ne conserver que ce qui constitue l'aspect intime de sa personnalité.

Ce découplage a une triple fonction, celle d'abord d'apporter une touche comique à un vaste sujet sociologique. Puis de déconstruire l'image de ces icônes en les confisquant du monde patriarcal et enfin d'apporter une touche neuve et moderne par un langage, parfois de jeune rebelle comme pour Marie ou de victime se sentant coupable pour Médée.

Ainsi les voix et les attitudes des comédiennes sont, à dessein, décalées par rapport à ces célébrités d'un autre espace-temps, à l'exception, peut-être, de Dorothée. Car elles ont porté pour certaines d'entre elles, sans le vouloir parfois, un message politique d'aujourd'hui qui a été tu. Celui de se faire entendre et d'exister pour ce qu'elles sont. Médée est jouée comme se sentant coupable bien qu'elle soit victime car elle a caché ses enfants d'après elle(*). Quatre versions autour de Médée existent avec celle d'Eumélos où ses enfants meurent en en ignorant la cause mais non du fait de leur mère, celles de Parméniskos et de Kréophylos où les Corinthiens tuent les enfants de Médée et celle d'Euripide (480 av J.C. - 406 av J.C.), la seule connue de tous, où c'est Médée qui tue ses enfants.

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Au travers de ces personnalités de temps anciens et modernes, c'est la femme d'aujourd'hui que nous entendons. Durant toute la représentation, un fort sentiment de culpabilité transparaît chez elles. Il y a même Médée qui semble un peu perdue, pas sûr de ce qu'elle est et de ce qu'elle a fait. Car se sentant coupable comme beaucoup de victimes. Elle se fait ainsi le témoin, l'écho, la parole de ce que nous pouvons entendre aujourd'hui.

À l'arrière-scène, en rupture de l'émission et autour d'une table lors d'un déjeuner, s'incarne dans deux tableaux, la société patriarcale autour cette fois-ci de ses excès autoritaristes chez l'homme, en chef de famille aux sens propre comme figuré. Ces scènes sont un autre éclairage de la condition féminine actuelle dans un prisme familial.

Il y a une belle incarnation de Juliette Duret pour Marie dans un solo de tension assez émouvant. Des chansons viennent aussi entrecouper les différentes scènes. Et toujours cet humour qui permet de faire de cette création une pièce politico-marrante avec une régisseuse, à dessein, faisant quelques erreurs même si le non-fonctionnement d'un micro n'était pas prévu. Peu importe, la situation est gérée avec humour, l'esprit même du spectacle. Il est l'outil efficace de ce travail de remise à plat de figures réalisé par des historiens, des mythologues et, par ricochet, porté par une opinion publique, baignés tous dans une société patriarcale.

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
La version "Hommes de boue" est en cours de création avec des hommes s'emparant du même protocole de questions afin d'y répondre.

(*) La version du spectacle est peut-être celle de Kréophylos où Médée s'enfuit d'Athènes après avoir tué Kréon, le roi de la cité de Corinthe, en l'empoisonnant et en laissant ses enfants derrière elle car ils sont trop jeunes pour l'accompagner. Pour les protéger, elle les place sur l'autel d'Héra Akraia et s'attend à ce que leur père Jason trouve le moyen d'assurer leur sauvegarde. Des amis de Kréon les tuent et répandent ensuite la rumeur que Médée a commis ce geste avant de s'enfuir (cf Timothy Gantz "Mythes de la Grèce archaïque").

"Femmes de boue"

© Marie Charbonnier.
© Marie Charbonnier.
Création du Collectif Femmes de Boue.
Écriture et mise en scène : Juliette Duret, Coralie Émilion-Languille, Armelle Gerbault, Fanny Pascaud.
Avec : Juliette Duret, Coralie Émilion-Languille, Armelle Gerbault, Fanny Pascaud.
Création lumière : Moïra Dalant.
Création sonore : Arnaud Vernet-Le Naun.
Durée : 1 h 15.

Du 2 avril au 4 juin 2022.
Samedi à 21 h.
Théâtre La Flèche, Paris 11e, 01 40 09 70 40.
>> theatrelafleche.fr

Safidin Alouache
Mardi 26 Avril 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024