La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•Off 2022• "Boire, baiser, écrire (Un air de Bukowski)" Sur les planches de l'ivresse

Il y a chez Oldan, cet homme en noir au regard malicieux et un peu fuyant, quelque chose de Bukowski. La carrure imposante, peut-être, et une grandeur toute délicate, sans doute moins perceptible au premier abord. Et s'ils s'étaient rencontrés ces deux-là ! Que se seraient-ils dit ? Qu'auraient-ils tu d'eux-mêmes par pudeur ou par humilité ? Leurs regards acerbes sur le monde et la nature humaine auraient-ils eu quelques points de convergence, chacun interrogeant l'autre à sa manière ?



© Léo Sam.
© Léo Sam.
Autant de questions que le spectateur se pose tout au long de ce "spectacle-performance" unique en son genre. Du théâtre ? Peut-être pas. Plutôt une confidence intime, celle d'un homme passionné par les mots, de ceux qui touchent l'âme en profondeur si on les écoute bien. Un OVNI. Un électron libre comme on les aime parce qu'on y éprouve en XXL la vie avec un grand V quand elle est mêlée à l'art. Car comme disait si admirablement Bertolt Brecht, "Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, celui de vivre".

Oldan, s'inspirant de Charles Bukowski, c'est de l'eau de roche qui s'écoule dans un tourbillon de liquide rouge. C'est brut ou très raffiné au contraire. Chaque spectateur jugera.

Oldan a déjà joué "Boire, baiser, écrire" dans le Off d'Avignon il y a quelques années. En ces temps d'avant le Covid où les choses et les gens se sentaient plus légers. Et c'est un coup de cœur artistique que nous avions vécu déjà à ce moment-là. Alors, on en redemande…

Parmi les inconditionnels de la TV et les amoureux des émissions littéraires, qui ne se souvient pas du passage remarqué de Charles Bukowski sur le plateau d'Apostrophe animé par Bernard Pivot ? C'est par la projection de ce moment médiatique culte que commence le spectacle, un moment médiatique où Charles Bukowski, quitte le plateau ivre, comme souvent, prononçant tant bien que mal à l'animateur des "Au revooooir" cotonneux et distants. L'alcool ayant été sa muse et son combustible toute sa vie durant, et ce, dès ses 16 ans.

Oldan quittera le plateau lui aussi à un moment du spectacle, laissant les spectateurs seuls dans la salle juste "pour aller pisser, parce que la bière, ça fait pisser" comme un hommage affiché et quelque peu provocateur à cet incontournable romancier, nouvelliste, poète américain mort en 1994.

Mais pour l'instant, il est bien là, Oldan, et il boit lui aussi. Il boit beaucoup, beaucoup. Du vin rouge, puis de la bière, à nouveau du vin rouge. Il ne fait pas semblant. Et comme pour s'excuser de façon subliminale, il grignote à même le sachet quelques chips pour "tenir au ventre".

Et il raconte Buko. En tout cas, il se l'approprie. Il se métamorphose en lui. À ce titre, on peut se demander ce qui pousse l'artiste de manière générale (comédien, acteur, auteur, danseur) dans ses choix intrinsèques et profonds. Nous n'avons pas interrogé Oldan à ce sujet. Nous l'aurions pu. Nous avons fait le choix de préserver cette part de mystère qui guide le processus créatif de l'artiste et qui le fait avancer chaque jour, encore et encore.

© Léo Sam.
© Léo Sam.
Car Oldan est aussi chanteur, parolier, auteur, compositeur et, là aussi, c'est une autre performance : trois spectacles par jour à son actif tout au long du festival. Un exploit…. Oldan s'en défend et il semblerait que lui non plus "ne savait pas que c'était impossible. Alors, il le fera".

"L'Homme inouï" à 19 h 45 au Théâtre du Verbe Fou, "Oldan en concert, scène occupation" toujours au Verbe Fou à 21 h 45 et, bien sûr, "Boire, baiser, écrire" au Sham's Théâtre à 23 h 15. Relâche les mardis quand même ! À l'occasion de cette performance bukowskienne et anarchique, Oldan propose un verre aux spectateurs du premier rang comme un partage nécessaire à l'acte créatif ou encore un hommage tangible à l'écrivain et à son public. Un public frileux au départ mais qui l'a très vite reconnu comme un grand écrivain.

Le spectateur ressent de façon palpable le plaisir du comédien à dire Buko (probablement que cet homme-là quand il aime il ne compte pas). Ou peut-être bien qu'il ne nous dit rien à bien y regarder ! Qu'il nous laisse carte blanche et nous laisse à penser librement l'écrivain tourmenté.

"L'idéal serait que Bukowski soit là, sur scène, à lire ses poésies. Mais c'est impossible. Il est mort. Mauvaise nouvelle. Bukowski mort ? Non !"

Le ton est donné par ces mots d'ouverture car Oldan aime les mots, passionnément et du haut de sa voix caverneuse qui n'est pas sans rappeler celle d'un Bashung ou d'un Arno (eux sont malheureusement morts mais Oldan est bien là), le spectateur se laisse bercer par les confidences du comédien rendant hommage à sa manière à cet écrivain tourmenté, anticonformiste qui, encore une fois, aura mis beaucoup de temps à être reconnu et publié. Osons ici un parallèle entre les deux hommes comme un clin d'œil, car Oldan l'artiste mériterait lui aussi d'être connu bien davantage tant son univers est foisonnant, parfois un peu sombre, mais cet univers cerne tellement finement l'âme humaine. Impossible d'y rester indifférent.

"Je suis l'ange noir perché sur mes doutes. Je surveille la route, écrasé, empêché de voler. Je supporte ce corps de cloporte. Dans vos peurs, je me glisse avec douleur et délice", extrait de "L'Ange Noir", titre de l'album "Serial K." d'Oldan sorti en 2015.

Dans ce spectacle, la dimension littéraire du romancier poète aurait peut-être mérité d'être soulevée davantage. Quelques mots supplémentaires jetés par-ci, par-là, entre deux verres de vin ou deux canettes de bière pour nous enivrer encore plus.

L'ombre de Charles Bukowski plane sur le plateau du Sham's aux côtés d'Oldan qui susurre et murmure l'homme à sa manière, confronté à sa propre vérité créatrice. C'est tout en délicatesse anarchique. Probablement que Buko aurait apprécié et serait monté sur le plateau pour boire un verre avec lui. Oldan vit. Il boit donc il est en vie. Charles Bukowski n'est plus là. Quoique !

Vu en avant-première en avril dernier au Théâtre du Verbe Fou dans le cadre de la 3e édition du Festival des Théâtres indépendants à Avignon.

"Boire, baiser, écrire (Un air de Bukowski)"

Texte : Oldan.
Mise en scène : Daniel Olive, Roland Abbatecola.
Avec : Oldan.
Création visuelle : Léo Sam.
Par la Compagnie Okside.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 23 h 15, relâche le mardi.
Sham's Théâtre, 25, rue Saint-Jean le Vieux, Avignon.
Réservations : 04 65 87 88 88 ou 06 60 96 84 82.
>> festivaloffavignon.com

Brigitte Corrigou
Jeudi 7 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024