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Théâtre

Le "Tartuffe" de Bondy n'hésite pas à amplifier les postures de la tradition moliéresque

"Tartuffe", Odéon Théâtre de l'Europe, Ateliers Berthier, Paris

La version théâtrale du Tartuffe proposée à l’Odéon par Luc Bondy a été créée à Vienne dans une traduction adaptation en allemand. Dépaysée. Présentée en France avec une distribution française, elle baigne de nouveau dans le texte originel de Molière tout en gardant l’esprit d’une adaptation, la langue est à peine ajustée, tout juste poncée…



© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Le travail réalisé est étonnamment juste, offrant au regard un Molière hors tradition qui facilite la compréhension des vérités sues, pas toujours montrées, que les actualités du monde rendent périodiquement et profondément sensibles. Avec cette proposition, le protagoniste Tartuffe mérite bien sa qualification d’imposteur.

La mise en scène présente l’intimité d’une maison de grande bourgeoisie à l’apparence contemporaine, aux meubles design laqués blanc.

Le vernis est moderniste, libéré des traditions esthétiques anciennes à l’instar de la maitresse de maison Elmire, très fashion et sûre d’elle-même (Clotilde Hesme). Quoique… des trophées de chasse, des vierges et des crucifix discrets se greffent aux murs. C’est que la famille se révèle au fond très conservatrice dans les mœurs. Et le bourgeois Orgon (Gilles Cohen), affairé avec son attaché case et son costume trois pièces manifestement imprégné de la culture internationale, est en mal d’âme.

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Pater familias en perdition. Famille tourneboulée. Le fait religieux hante les consciences et les grains de chapelets usés par la superstition ne protègent pas des risques de Tartuffe (Micha Lescot).

Celui-ci est l’homme par qui le scandale arrive. Il avance effrontément à livre ouvert par la peur du scandale. Il est jeune. Il est craint. C’est un long échalas dégingandé. L’échine est élastique. L’homme, ostensiblement pieux et pauvre, ne croyant pas à sa propre séduction, œuvre par l’intrigue et la domination et s’accapare le patrimoine. Rusé, duplice et contradictoire, il veut et ne veut pas apparaitre. Pervers ou comédien. Serpent à coup sûr. La prestation est magistrale.

© Thierry Depagne.
© Thierry Depagne.
Le verbe et le comportement s’avèrent ignobles pour le spectateur qui l’observe et sait l’imposture. Confrontés à la réalité des dessous des apparences, la chute de Tartuffe, victime de la chair et de la police de l’État qui met à jour son comportement délictueux, n’en est que plus savoureuse.

La gestuelle des personnages est actuelle, strictement contemporaine. Et les mots de Molière sonnent justes, sans anachronisme, un peu surannés, avec juste dans la voix ce qu’il faut de bonne éducation pour que cela apparaisse comme un accent d’authenticité. Le jeu subtil dans une lenteur assumée ne rechigne pas à pousser des postures de la tradition moliéresque. Histoire de mieux satisfaire le désir du spectateur de débusquer les mensonges des mots. Et le spectateur de rire franchement.

Tartuffe appartient bien au patrimoine mondial.

"Tartuffe"

Texte : Molière.
Mise en scène : Luc Bondy.
Avec : Gilles Cohen, Lorella Cravotta, Léna Dangréaux, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Clotilde Hesme, Yannik Landrein, Micha Lescot, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse, Pierre Yvon.
Décor : Richard Peduzzi.
Costumes : Eva Dessecker.
Lumière : Dominique Bruguière.
Maquillages/coiffures : Cécile Kretschmar.
Durée : 1 h 55.

Du 26 mars au 6 juin 2014.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Odéon Théâtre de l'Europe, Ateliers Berthier, Paris 17e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Jeudi 3 Avril 2014

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