La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Épître dédicatoire à Madame, au sujet du "Don Juan" mis en scène par Gilles Bouillon

"Don Juan", Théâtre de Châtillon, Châtillon... puis en tournée

Madame, je suis la plus embarrassée femme au monde lors qu’il me faut parler d’une œuvre tel ce "Don Juan". Je ne compte plus les mises en scène qu’il m’a été données de voir, et pourtant je ne m’en lasse point. Lorsqu’elle est bien faite, cette pièce devient un exercice de style. Figurez-vous que cette fois, il s’agit d’une proposition de notre illustre Bouillon, et illustre il s’est montré ! L’avez-vous seulement vu ce Don Juan-là ? Parce que cela bouillonnait (pardonnez !) dans ce beau CDR Tourangeau. Et à présent que c’est monté chez les Châtillonnais, je conseille vivement d’y aller faire un tour !



© Berthon.
© Berthon.
J'étais donc hier à Tours pour ce "Don Juan". Dans ce haut lieu de la Culture (de quatre cents et quelque fauteuils), on se bousculait pour trouver place assise. À jouer des coudes pour se faufiler parmi le public, on se serait presque cru à la première de Bob Wilson. L’événement était de taille, vous ne le savez que trop bien : c’est là la dernière mise en scène de Gilles Bouillon en tant que directeur du CDR de Tours. Ça jase, ça jase dans le beau monde de la Culture. Et Bouillon y était très attendu ! Certains d’ailleurs ne sont pas funambules et ne savent pas dire adieu convenablement lorsqu’on les congédie. Oserons-nous dire que M. Bouillon ne l’a pas bu, et qu’il s’en tire même remarquablement. L’avez-vous seulement vu, ce "Don Juan" ?

© Berthon.
© Berthon.
C’est donc une des grandes réussites de ce Bouillon. N’est-ce pas Madame qu’il a cette générosité à toujours placer ses comédiens au centre de l’action ? Ce sont eux qui font la pièce et non l’inverse. Cherboeuf a fait de Don juan un personnage mi-précieux mi-conquérant et Guitton façonne un Sganarelle à la fois drôle et triste. Superbes ! Quant au père, Jacques Hardy s'en est tenu à une composition classique, mais quelle stature ! Sa parole sonnait tel un glas ! Les femmes, quant à elles, sont innocentes à souhait et légères comme des plumes. La belle Cassandre Vittu de Kerraoul, dans le rôle de la femme esseulée, n’a pas perdu de sa fraîcheur de jeune première, toujours aussi fine et délicate ; et les paysannes (Nelly Pulicani et Korotoumou Sidibe), au lieu d’être stupides et lourdes, sont au contraire pleines de poésie et de rêves. Avez-vous vu comment, sous la baguette de ce metteur en scène, elles deviennent vaporeuses et aériennes ? J’en oublie, je sais, mais allez voir, Madame, je vous prie. Allez voir quel directeur (d’acteurs) est ce Gilles Bouillon.

© Berthon.
© Berthon.
Faut-il, pour vous convaincre, Madame, que je vous dise que le sieur Bouillon est un de ceux qui racontent de belles histoires et cimentent notre culture ? Que va-t-il d’ailleurs advenir de sa belle équipée ? Je pense notamment à son dramaturge Bernard Pico ou à sa scénographe Nathalie Holt (ingénieuse, cette idée de la scène dédoublée et en partie circulaire). Pardonnez Madame, je m’étale. Mais il y aurait encore tellement à dire sur cette équipe. Les connaissez-vous ?

Dix-huit représentations annoncées dans une petite ville de province et salle comble. Tout le temps. Je souhaite d’ailleurs bien du courage à celui qui prendra la relève. Madame, comme je vous plains. Vous aussi, je trouve, il vous aura fallu bien du cran pour oser déloger de sa province une telle figure. Souhaitons que le monde de la Culture y gagne ! Permettez-moi d’en douter. Mais peut-être n’entends-je rien à la politique ? Dans quelques jours, Gilles Bouillon quittera ce lieu d’aujourd'hui 7 300 abonnés, entièrement façonné à son image. Tiens, d’ailleurs, puisque c’est la dernière, irez-vous voir la pièce à Châtillon ? Paraît-il qu’en ce lieu, les possibilités scéniques sont différentes qu’à Tours.

© Berthon.
© Berthon.
Je me trouve si peu fait au style des épîtres que je ne sais par où sortir de celle-ci. Une autre que moi aurait certainement tout intérêt à trouver cent belles choses à dire à Madame. À ce sujet, "Don Juan" reste toujours aussi vrai : nous continuons à être entourés d’hypocrites. Je ne sais donc que le biais de faire entrer des vérités, mais ce sont des sujets d’une trop vaste étendue pour les vouloir enfermer dans cette modeste épître. Je ne vois donc rien à faire ici pour moi que de vous la dédier simplement et de vous assurer, avec tout le respect qu’il m’est possible, que je suis, Madame, votre très humble et très obligée.


"Don Juan"

© Berthon.
© Berthon.
Texte : Molière.
Mise en scène : Gilles Bouillon.
Dramaturge : Bernard Pico.
Assistante mise en scène : Albane Aubry.
Avec : Frédéric Cherboeuf, Jean-Luc Guitton, Cassandre Vittu de Kerraoul, Gérard Hardy, Cyril Texier, Xavier Guittet, Kevin Sinesi, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani, Korotoumou Sidibe, Alexandre Forêt.
Scénographie : Nathalie Holt.
Lumière : Marc Delamézière.
Costumes : Marc Anselmi.
Musique : Alain Bruel.

Du 10 au 21 décembre 2013.
Du mardi au samedi à 20 h 30 et dimanche à 15 h.
Théâtre à Châtillon, Châtillon (92), 01 55 48 06 90.
>> theatreachatillon.com

Tournée 2014
16 au 18 janvier 2014 : Anthéa, Antipolis Théâtre d'Antibes (06).
30 janvier 2014 : L'Atelier à Spectacle, Vernouillet (28).
4 et 5 février 2014 : Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine (92).
7 et 8 février 2014 : Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (91).
11 février 2014 : TCM, Charleville-Mézières (08).
25 et 26 février 2014 : Le Théâtre - Scène nationale, Narbonne (11).
28 février et 1er mars 2014 : Théâtre Jacques Coeur, Lattes (34).
7 mars 2014 : Théâtre de Corbeil-Essonnes (91).
11 au 20 mars 2014 : Atelier Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve (Belgique).
25 mars 2014 : Le Vivat - Scène conventionnée, Armentières (59).
27 et 28 mars 2014 : Théâtre, Argenteuil (95).
1er au 5 avril 2014 : Théâtre, Angoulême (16).
8 avril 2014 : Théâtre Roger Barat, Herblay (95).
10 et 11 avril 2014 : Espace Malraux, Châteaudun (28).
16 avril 2014 : Théâtre Saint-Louis, Cholet (49).
24 et 25 avril 2014 : Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse).

Jeudi 12 Décembre 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023