La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Monsieur Kaïros"… Relier les imaginaires que tout semble séparer

"Monsieur Kaïros", Le Lucernaire, Paris

Dans "Monsieur Kaïros" de Fabio Alessandrini, le héros est un écrivain qui tâtonne, bute sur la page. Le personnage de son roman en gésine est un médecin militaire qui zigzague dans le désert d'Afghanistan, sauvant les vies, accompagné de sa belle assistante et de ses interprètes lorsque explose une bombe. Par la nécessité du récit, il a survécu secouru par un inconnu. Hébété.



© Christophe Leclaire.
© Christophe Leclaire.
L'écrivain a un besoin urgent de vraisemblance, de cohérence. C'est à s'arracher les cheveux, à se prendre la tête, à se la taper contre les murs. D'autant plus durement que, justement, surgit de nulle part, un homme, un inconnu, dont la vie s'inscrit parfaitement dans le fil du récit. À la fois totalement semblable et pourtant absolument différente. L'histoire vire. Les deux hommes, soumis à un interrogatoire haletant de la réalité, luttent contre l'hallucination.

Dans "Monsieur Kaïros ", il est question d'un auteur en quête d'un personnage et de la surprise qui découle d'une rencontre improbable. Entre une réalité qui dépasse la fiction et une fiction qui a besoin de la vraisemblance, le texte assume sa dimension néo pirandellienne et dans l'alternance des séquences qui mettent en lumière la différence des points de vue, le spectateur a le plaisir de retrouver l'essence du théâtre. Celui d'un dialogue qui, dans l'échange des arguments, la présence physique des comédiens et la souplesse du jeu, favorise le glissement des réalités et fait avancer la réflexion du spectateur.

© Christophe Leclaire.
© Christophe Leclaire.
Yann Collette et Fabio Alessandrini sont deux comédiens unis dans la réciprocité du jeu comme en une gémellité parfaite. À égalité de puissance, l'un dévore l'autre et l'autre l'un dans un équilibre parfait. Le temps est suspendu pendant que se propage le doute sur le caractère tangible ou imaginaire de la scène.

Dans cette dimension fantastique, la réalité théâtrale masque et démasque, rend présente une dimension du réel que justement l'écrivain, abrité derrière son ordinateur, animé par la toute-puissance des archétypes qu'il manie et par un désir d'héroïsme qu'il veut instiller dans son récit, répugne à dire, veut esquiver : celui de l'obscénité de toute scène de guerre, de la trivialité des destins ou de la simplicité de la vie. Il suffirait d'un Kaïros, une touffe d'imaginaire, un moment fugace, un déclic, pour que le récit de l'écrivain soit relié aux différents Théâtres du monde. Le sien, le nôtre.

Dans ce spectacle, l'auteur et les comédiens cernent, rendent sensibles, par les moyens du théâtre, par la qualité du jeu, le cheminement du récit et, osons le dire, l'intelligence du propos, cet instant qui relie les imaginaires que tout semble séparer.

Sur scène un cendrier ou bien toltèque ou bien aztèque (selon les points de vue) est sur un point de bascule. Tout un symbole.

Le spectateur apprécie et applaudit.

"Monsieur Kaïros"

© Christophe Leclaire.
© Christophe Leclaire.
Texte : Fabio Alessandrini.
Mise en scène : Fabio Alessandrini.
Assistante mise en scène : Sonia Masson.
Avec : Yann Collette et Fabio Alessandrini.
Scénographie et image vidéo : Jean-Pïerre Benzekri.
Lumière : Jérôme Bertin.
Son : Nicolas Coulon.
Cie Teatro di Fabio.
Durée : 1 h 10.

Du 19 octobre au 3 décembre 2016.
Du mardi au samedi à 21 h.
Théâtre Le Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Jean Grapin
Lundi 24 Octobre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024