La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Y aller voir de plus près"… Et de tout près du Péloponnèse !

Pour la cinquantième édition du festival d'automne, qui a débuté le 1er septembre dernier pour aller jusqu'au 18 février 2022, et ce, dans soixante-cinq lieux culturels d'Île-de-France, est conviée la chorégraphe Maguy Marin. Avec son esprit militant et citoyen artistique, elle propose une reconstitution théâtrale de la guerre du Péloponnèse pour rappeler la volonté de domination féroce liée à celle-ci comme à toute autre ainsi qu'à toute démocratie si elle ne prend pas garde à ses dérives extrémistes.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Maguy Marin n'est plus à présenter, elle est l'une des plus grandes chorégraphes de la scène artistique française depuis plus de quarante ans avec plusieurs de ses créations dont la plus connue est "May B" (1981). Là, autres décors, contextes et situations. C'est celle de la guerre du Péloponnèse (431-404 av J.-C.) dont la principale source d'inspiration reste celle de Thucydide (460-env.400/395 av J.-C.) utilisée pour cette création qui reste une référence et un chef-d'œuvre.

Il n'y a pas de danse. Les mots font caisse de résonance autour d'une scénographie mouvante avec ses couleurs qui dansent comme des vagues. Le récit est effectué par Antoine Besson, Kais Chouibi, Daphné Koutsafti et Louise Mariotte. Au travers des prismes littéral et oral, ce conflit est raconté soit avec l'aide d'un livre, rouge, comme support d'une trame inscrite dans l'histoire de l'humanité, soit narré de mémoire comme un passage de témoin.

Cela débute par quatre personnages masqués avec son exotisme porté par le biais d'une tige à la main. Avant de s'installer sur leur chaise, ils retirent leur longue tunique colorée où apparaissent leurs t-shirts dessinés d'un Parthénon.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Et place au conflit meurtrier entre la ligue de Délos sous l'autorité d'Athènes et la ligue du Péloponnèse sous l'autorité de Sparte. Les batailles, noms de roi et massacres s'enchaînent. La voix est accompagnée par une musique, celle de tapotement de mains sur des tambours ou celle de petits objets secoués dans une main de chaque comédien. La scénographie se construit tout au long du spectacle avec des pancartes sur lesquelles sont écrites en caractères noirs des chiffres et, entre autres, les mots "Argent", "Terre" et "Mer".

Il y a aussi un numéro de jeu de cartes dans lequel celles-ci se découvrent avec une lettre au verso qui, assemblée, forme la phrase "Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise" de Brecht (1898-1956)… comme une ultime résonance de ce que nous vivons actuellement avec, de plus en plus exprimé, le rejet de l'autre, comme la peur d'une dépossession de soi avec une revendication identitaire et raciste.

L'approche artistique peut être perturbante. Les corps restent en retrait, sauf pour les déplacements et la mise en place d'éléments sans qu'aucun mouvement harmonieux ne les guide. Ceux-là sont représentés dans leur fonctionnalité propre de se mouvoir ou d'agencer la scène dans des attitudes et postures du quotidien tel que s'asseoir et se lever. Pas plus. Le mot devient roi quand le corps est dépositaire d'une culture, ici, scénographique et historique.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Ce qui porte le spectacle est le récit avec son rythme, ses couleurs, ses espaces. Est posé aussi le conflit meurtrier entre les deux ligues d'Athènes et de Sparte qui avait fait dramatiquement évoluer la nature de la guerre, et pour toutes celles qui allaient venir jusqu'à aujourd'hui, vers un rôle de destructions massives et automatiques sans distinction entre civils et militaires. Ce qu'elles n'avaient pas été précédemment car à objectifs limités avec des civils qui étaient rarement massacrés. Là, elle devient totale avec l'extermination de civils comme à Corcyre, et ses suicides massifs de désespérance, qui est un parangon de cruauté.

Parfois des cris sont lancés en chœur au milieu du récit pour finir en un rythme très soutenu accompagné de tambours. Puis noir et immobilité sur scène et une voix continue qui finit le spectacle par ses mots : "d'une guerre jusqu'à la fin de l'été". Et qui résonne jusqu'à nous.

Dans sa mise en scène, Maguy Marin pose la question du positionnement de chacun d'entre nous face au monde et à notre actualité. En artiste engagée, elle rappelle ce qui existe depuis la nuit des temps en politique, la volonté de domination d'un peuple sur un autre avec son lot de crimes et de tragédies. Car, après tout, que représentent ces quatre interprètes qui, à des degrés divers et sous des formes différentes, nous racontent l'indicible et l'horreur au travers d'un rapport au texte qui peut être soit détaché, soit consciencieux ?
Celle d'être acteur ou non d'une actualité, d'en prendre conscience et de s'y impliquer. C'est un appel, un rappel de ce que toute démocratie a aussi son revers, celui de la domination, si elle cède à des sirènes extrémistes.

"Y aller voir de plus près"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Conception : Maguy Marin.
Film : David Mambouch, Anca Bene.
Maquettes : Paul Pedebidau.
Iconographie : Louise Mariotte, Benjamin Lebreton.
Conception sonore et musicale : David Mambouch.
Lumière : Alexandre Béneteaud assisté de Kimberley Berna-Cotinet.
Son : Chloé Barbe.
Scénographie : Balyam Ballabeni, Benjamin Lebreton assistés de Côme Hugueny.
Costumes : Nelly Geyres.
Travail de voix : Emmanuel Robin.
En étroite collaboration avec : Antoine Besson, Kais Chouibi, Daphné Koutsafti, Louise Mariotte.
Durée : 1 h 20

Du 21 au 29 octobre 2021.
Mardi à samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Théâtre des abbesses, Paris 18e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Safidin Alouache
Mercredi 27 Octobre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024