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Théâtre

"Antigone 82", comme un dépassement des rituels et des coutumes, une antichambre d'une Nation Commune

"Antigone 82", Théâtre de l'Épée de Bois, Paris

Dans "Antigone 82", Jean-Paul Wenzel adapte et met en scène avec l'aide d'Arlette Namiand "Le quatrième mur", le roman de Sorj Chalandon. Cette pièce démêle la pelote compliquée de la guerre civile du Liban en 1982, cette guerre où s'emmêlent sur une même terre les traditions et les politiques des chrétiens, sunnites, chiites, mais aussi druzes, palestiniens, israëliens, syriens…



© DR.
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Dans un espace de jeu délimité sur trois côtés par des gradins, avec deux chaises, un mur de fond en partie recouvert par un rideau (ou écran ou surface de projection), Jean-Paul Wenzel et ses comédiens développent une manière très concrète de théâtre et racontent une histoire. Complexe mais simple. Qui parle de la Guerre, et des rituels et des coutumes. Des uns et des autres.

De ces chefs de factions qui acceptent que leurs enfants jouent cette pièce de théâtre étrange qu'un étranger leur propose de jouer. Antigone… Dans un lieu de nulle part, en ruine, un no man's land. Pas comme une solution, pas comme un rêve de paix mais comme un répit, une simple respiration. Un souffle de vie bien insuffisant pour échapper à la névrose de guerre, aux traumatismes, à un monde qui n'imagine pas le retour à l'état paisible et au partage des destins. Un monde qui ne connaît que la fraternité paradoxale des guerriers et le partage des meurtres.

Sans jamais céder un pouce à la caricature et à l'idéologie, ni au désir de simplification, l'espace théâtral apporte comme une limpidité, une fluidité de la pensée, une vérité des personnes.

© DR.
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Du lointain aux gradins, comme protégés par une ligne, un écran invisible, une séparation, une cage invisible, se définissent un en deçà, un par-delà des apparences. Les hommes et les femmes, comme protégés d'un regard extérieur, se dépouillent progressivement de leurs raideurs. Et l'on comprend leurs comportements qui conjurent le hasard d'un tir de snipers ou de tankistes. La nécessaire solidité des liens familiaux et les détails qui font sens.

La scène semble se paver de mots, d'objets, les comédiens jouent comme si aucun clin d'œil n'était envoyé au public. Dans un jeu réaliste naturel*, chacun apporte son objet symbolique, sa phrase essentielle, son courage physique, ses interdits, ses provocations, ses rétractations, son point de vue.

Le spectateur évolue entre Fable et Parabole, attentif au dialogue silencieux qui passe par les signes et le rapprochement des corps. Et voit les cloisons mentales, les barrières du feu, les contradictions se dissoudre.

© DR.
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La scène, par sa capacité à conjoindre les contraires, rapprocher les points de vue, distribuer le présent et l'absent est comme un laboratoire, élabore un espace sensible et optimiste.

Et de cette Antigone, de cette histoire de cendres et de cailloux, cette histoire de défunts en recherche de terre des ancêtres, en recherche de patries, Jean-Paul Wenzel et ses comédiens offrent les premiers éléments d'une matière à théâtre qui dépasse les fantômes.

Et, lorsque du lointain aux gradins se déroule le jeu, chaque personnage révèle sa curiosité de l'autre, et peut être son désir d'autrui. Un peu de terre, une clef à ouvrir. L'effet théâtre est tenu de bout en bout. Et le spectacle apparaît comme une geste qui relie tous les genres, qui s'installe à un point de convergence, un point aveugle en limite de la ligne imaginaire qui sépare les gradins. Au point de naissance du public.

Le théâtre comme dépassement des rituels et des coutumes, comme antichambre d'une Nation Commune. C’est pourquoi les applaudissements sont si nourris.

* Jean-Paul Wenzel respecte les consignes données par Denis Diderot dans "De la poésie dramatique" au chapitre 11 "de l'intérêt" où apparaît la notion de quatrième mur…

"Antigone 82"

© DR.
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D'après "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon (Éditions Grasset).
Mise en scène : Jean-Paul Wenzel.
Adaptation : Arlette Namiand.
Avec : Hassan Abd Alrahman, Fadila Belkebla, Pauline Belle, Pierre Devérines, Nathan Gabily (jeu et musique) Pierre Giafferi, Hammou Graïa, Jérémy Oury (jeu et vidéo), Lou Wenzel.
Scénographie : Jean-Paul Wenzel.
Création costumes : Cissou Winling.
Création lumières : Juliette Romens.
Création son : Philippe Tivillier.
Création vidéo : Jérémy Oury.
Régie lumière : Juliette Romens ou Marie-Sol Kim.
Par Dorénavant Cie.
Durée : 1 h 50.

Du 10 janvier au 3 février 2019.
Du jeudi au samedi à 20 h 30, samedi et dimanche à 16 h.
Théâtre de l'Épée de Bois, La Cartoucherie, Paris 12e, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

Jean Grapin
Vendredi 18 Janvier 2019

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© Jean-François Delon.
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