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Théâtre

"Que viennent les barbares" Le regard de l'autre

Toutes les enquêtes journalistiques, les témoignages, les actions en immersion d'association comme SOS racisme et toutes les confidences d'amis, d'amies et toutes les statistiques n'y feront rien : le regard porté en France sur tous ceux dont la couleur de peau, la culture ou la religion sont différentes, est un regard d'aveugle. La République ne voit pas la réalité, elle ne voit que les grands principes qu'elle grave aux frontons des édifices comme une parole divine : nulle discrimination de couleur, de religion ou d'opinion ne peut exister en France. C'est écrit, mais il faut le dire encore et encore, ce qui est écrit dans les lois, le marbre et les principes n'est pas la réalité.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Après avoir tourné son esprit vers le regard sur les femmes voilées, avec son précédent spectacle "Ce qui nous regarde", Myriam Marzouki élargit son interrogation aux autres préjugés que la société française traîne et recycle depuis des siècles et des siècles, amen. Pour ce faire, elle a créé, en 2019, "Que viennent les barbares", spectacle dont les ailes furent coupées comme tant d'autres par l'événement Covid, avec la volonté d'embrasser au plus large cette thématique. C'est ainsi qu'elle convoque de grandes figures conscientes ou victimes du problème, puisées dans les deux derniers siècles… depuis la naissance de cette nation française en quelque sorte… depuis la genèse.

En 1793 est venu à la convention un député noir, Jean-Baptiste Belley, résolu à imposer l'abolition de l'esclavage. Ce qu'il fit. Ce que défit la gloire nationale Napoléon quelques années plus tard. C'est ainsi que cela commença, cette belle idée de citoyens naissant libres et égaux en droit : on y avait oublié les esclaves noirs des colonies. Sur scène, Jean-Baptiste Belley fait une apparition…

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Sans jamais vouloir faire encyclopédie ni développement chronologique, bien au contraire, le texte de Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki va survoler ces deux siècles en faisant vivre au plateau les ardents défenseurs de cette liberté de vivre pour tous, toutes nations confondues, toutes couleurs de peaux ou d'idées s'exprimant. Ainsi, apparaîtront Jean Sénac (poète algérien assassiné, ami d'Albert Camus), Toni Morrison (première écrivaine afro-américaine prix Nobel de littérature), Mohamed Ali, James Baldwin et Claude Lévi-Strauss.

Un éclatement de discours, tous différents au cours des temps, mais qui possèdent tous une filiation brûlante : l'impossibilité, malgré les lois et les grands principes, de se sentir français quand on ne ressemble pas à un français. Cette terrible impression d'être toujours intrus. Étrange. Toléré. La mise en scène colle à cette multitude. L'espace-temps incertain du début se resserre au fur et à mesure, d'abord dans un temple administratif de la bêtise, antichambre carcérale des libertés, puis dans un bar futuriste où les siècles et les révoltes se conjuguent comme dans un camp retranché pour finir en apothéose dans un musée de notre histoire.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
"L'histoire n'est pas le passé", dit-on dans la pièce. Mais c'est pourtant bien de notre histoire dont il s'agit. Comme un renversement du temps, notre présent est présenté comme le futur de ceux qui ont témoigné. Un futur où les espoirs sans être écrasés sont toujours, toujours remis à demain. Un futur mis au musée, dans une des salles possibles du musée de l'évolution du jardin des plantes.

Les six comédiennes et comédiens donnent à ce texte toute la vitalité, le charnel et le rêve vitaux. Ils endossent avec talent chacun plusieurs rôles attachants dans un exercice difficile de scènes courtes, jamais dans le même espace-temps, avec le challenge de toucher immédiatement l'imaginaire du spectateur.

Vu le 28 janvier 2022 au Théâtre Molière - Scène nationale archipel de Thau, Sète.

"Que viennent les barbares"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Texte et dramaturgie Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki
Avec des extraits de Constantin Cavafis et Jean Sénac, et des passages librement inspirés des interviews et récits de Mohamed Ali, James Baldwin et Claude Lévi-Strauss.
Texte et dramaturgie : Sébastien Lepotvin et Myriam Marzouki.
Avec des extraits de Constantin Cavafis et Jean Sénac ; et des passages librement inspirés des interviews et récits de Mohamed Ali, James Baldwin et Claude Lévi-Strauss.
Mise en scène : Myriam Marzouki.
Assistante à la mise en scène et regard chorégraphique : Magali Caillet-Gajan.
Avec : Louise Belmas, Marc Berman, Yassine Harrada, Claire Lapeyre Mazérat, Samira Sedira, Maxime Tshibangu.
Scénographie : Marie Szersnovicz.
Lumière : Christian Dubet.
Son : Jean-Damien Ratel.
Costumes : Laure Maheo.
Stagiaire assistant à la mise en scène : Timothée Israël.
Construction décor : Ateliers de la MC93.
Durée : 1 h 30.
À partir de 14 ans.

15 février 2022 à 20h.
Scène Nationale de l'Essonne, Centre Culturel Robert Desnos, Ris-Orangis (91), 01 60 91 65 65.
>> scenenationale-essonne.com

Bruno Fougniès
Vendredi 4 Février 2022

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

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© Jean-François Delon.
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06/03/2024
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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

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Bruno Fougniès
15/10/2023