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Théâtre

"L'Araignée" Quand le monde et ses transformations ne tiennent qu'à un fil… arachnéen

Nous sommes dans la nuit du 17 ou du 18 avril 1521 en Allemagne. C'est la Diète de Worms, assemblée générale du Saint Empire. Le jeune Charles Quint, tout juste 23 ans, a pris les rênes du Saint Empire romain germanique, élu par les princes. L'unité du royaume se trouve soudain menacée par la révolte du moine Martin Luther. Il faudra, entre ces deux hommes, une discussion, une confrontation, à l'abri des regards.



© Ostra Production.
© Ostra Production.
Prudent et mesuré, Charles Quint s'opposera alors au moine Luther combatif et déterminé, docteur en théologie et prêt à tout pour faire triompher son sens de la Vérité et de la Justice. D'autant que sa renommée grandit rapidement. Ils devront, avec acharnement, confronter leurs certitudes et leurs angoisses, tiraillés entre conservatisme et mouvement.

Boris Vian a dit à propos d'un de ses romans : "cette histoire est vraie parce que je l'ai inventée". Rémi Delieutraz, l'auteur-dramaturge très inspiré de la pièce, s'est-il remémoré à sa manière cette pensée du célèbre romancier afin d'écrire son texte retraçant la probable rencontre nocturne entre Charles Quint, jeune empereur du Saint Empire germanique, et le moine théologien Martin Luther, réformateur d'une église corrompue qu'il condamne d'être assouvie par le pape ?

Il se pourrait bien que de telles rencontres entre chefs d'État ou autres hommes politiques de haut rang aient toujours lieu ainsi de nos jours pour sceller le destin du peuple, décider de son sort, arbitrer telles ou telles décisions et bouleverser peut-être le cours de l'Histoire ! Qui peut le savoir à part eux-mêmes ?

Dès le début de ce spectacle exceptionnel, le ton est donné, emprisonnant déjà d'une certaine manière le spectateur dans un huis clos qui grossira au fil de la représentation. Il fait vraiment très sombre, tout le décor est noir et seule une cruche d'époque pourrait nous rappeler que nous ne sommes pas au XXIe siècle. Une brume blanche surnage sur le plateau, laissant apparaître pourtant la fine silhouette d'un homme en costume. C'est le comédien Jean-Nicolas Gaitte sous les traits de Charles Quint dont quelque chose nous laisse deviner que la présence immobile ne le restera pas.

La suite de la représentation le confirmera. La puissance d'interprétation du comédien est vertigineuse et bouleversante. On peut se demander ce que le vrai Charles Quint penserait de son double contemporain tant il est imprégné dans ses propos de véracité et de force de conviction. Sa performance théâtrale est éblouissante, d'une intensité à couper le souffle.

© Ostra Production.
© Ostra Production.
La musique sourde et redondante composée par Soliman Doré associée à la scénographie épurée de Julien Breda plonge le public dans un espace glaçant duquel surgit très vite une sublime voix, franche, posée et déterminée. Il s'agit de Luther, vêtu d'une longue toge, interprété par un Maxime Gleize époustouflant lui aussi.

Même interrogation de notre part pour ce comédien quant à son imprégnation avec le vrai Martin Luther. Que penserait-il lui aussi de cet acteur contemporain retraçant de façon si engagée et viscérale sa détermination sans failles à sauver le peuple ?
Beaucoup de bien probablement…

Dans cette pièce, quelque chose d'indéfinissable plonge le spectateur directement sur scène, sous les lustres d'un lointain palais royal sous lesquels deux hommes s'affrontent dans une joute verbale vertigineuse, tant du point de vue de l'écriture du texte que de l'interprétation, texte de Rémi Delieutraz d'une puissance troublante. Bien lui en a pris de séjourner quelque temps à Worms en Allemagne et d'avoir imaginé cette confrontation historique, car nous aurions raté là un moment humaniste et théâtral hors norme.

Les enjeux de cette rencontre nocturne, sous la plume acérée de l'auteur, dépassent le simple cadre historique de l'époque, même si le spectateur ne le réalise pas immédiatement tant le jeu des deux comédiens l'emporte et ne la lâche pas une seconde. Il lui faut un peu de recul pour réaliser à quel point de semblables scénarios se trament certainement encore de nos jours.
Là sont la force et la puissance théâtrale quand elle est maîtrisée à ce point…

La réforme de Luther a mis l'Empire en danger, mais il est déterminé : "Ma cause est juste ! Je dois sauver l'église du péché", dira Martin Luther ! Cela ne nous rappelle pas ce quelque chose qui se joue en ce moment dans notre pays, quand bien même il ne s'agit pas de sauver l'église cette fois-ci, mais une nation tout entière.

Ce huis clos historique est manié de main de maître par quatre hommes remarquablement brillants et érudits, chacun à sa manière : les deux comédiens, Jean-Nicolas Gaitte et Maxime Gleizes, l'auteur Rémi Delieutraz et le metteur en scène Julien Breda.
Puissent ces quatre individus se retrouver un jour prochain et nous proposer encore un moment de théâtre et d'écriture semblable.

Ne ratez pas "L'Araignée" au Studio Hébertot. Que vous soyez dans la rue en ce moment pour revendiquer vos droits et vos espérances - ou pas -, allez découvrir à quel point le monde et ses transformations peuvent bien souvent ne tenir qu'à un fil !
Peut-être tout simplement celui d'une araignée…

"L'Araignée 1521. Achever l'Empire"

Texte : Rémi Delieutraz, responsable de la Librairie Théâtrale à Paris.
Texte édité aux Éditions L'Œil du Prince.
Mise en scène : Julien Breda.
Avec : Jean-Nicolas Gaitte et Maxime Gleizes.
Création son : Soliman Doré.
Lumières : Amélie Mao.
Par la Compagnie La Défense.
Durée : 1 h 05.

Du 5 février au 4 avril 2023.
Lundi et mardi à 19 h, dimanche à 17 h.
Studio Hébertot, Paris 17e, 01 42 93 13 04.
>> studiohebertot.com

Brigitte Corrigou
Mercredi 22 Mars 2023

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© François Vila.
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