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Avignon 2022

•Off 2022• "Décrocheurs de lune" Arts et Transformation sociale - Un spectacle Classe départ

On voit toujours les étoiles, c'est ça qui brille, c'est ça qui éblouit. Pourtant la vie, ce sont des petits souffles, des petites âmes nées de la poussière d'étoiles. Des fragments minuscules, invisibles, soi-disant sans importance. Et nous sommes ces poussières qui scintillent, fragiles, comme les bougies des rampes. Nous, nous ne mettons pas le feu, nous, on ne crame rien. Nous, on réchauffe, on éclaire avec ombres et clartés, nos souffles se mélangent, nos vies se tissent aux vôtres, on décroche, on s'accroche et l'univers nous appartient. Décrocher la lune et rallumer le soleil.



© François Saint-Rémy.
© François Saint-Rémy.
En France, 100 00 élèves quittent le système scolaire sans qualifications. "Classe départ" est une méthode inventée par Bruno Lajara, fondateur de l'Association l'Envol crée en 2015. Inspirée d'un dispositif de réinsertion par l'Art en Argentine, elle a pour but de permettre un support pour une employabilité future des bénéficiaires du projet en développant notamment chez eux la confiance en soi, la persévérance, la responsabilité, la ponctualité, la cohésion de groupe, sans oublier bien entendu la créativité et l'expression personnelle. La Fondation "France S'Engage" appuie ce projet depuis 2019, lequel a commencé dans le Pas-de-Calais, d'Arras à Béthune, puis s'est développé à l'échelle régionale sur Roubaix, puis nationale, à Lyon, Guyancourt et Avignon.

Certains de ces jeunes adultes, sur le plateau de la Manufacture, n'ont ni emploi ni formation. On les appelle des "décrocheurs", décrocheurs scolaires, familiaux ou sociaux. Souvent, les trois vont de pair et le projet est de les réinsérer par la culture en essayant, encore une fois, de les guider et de parvenir à faire germer en eux leur part de créativité.

© François Saint-Rémy.
© François Saint-Rémy.
"Ne plus se cacher, ne plus avoir peur- Jouer ses humeurs pour le droit au bonheur/Écrire ses fêlures pour faire péter les murs/Sept mois pour faire pousser des ailes et rêver que ces graines plantées germent enfin au grand jour", Bruno Lajara.

Il n'a pas été simple pour nous d'assister à ce spectacle qui nous a rappelé une myriade de souvenirs personnels et professionnels auprès d'élèves en souffrance, englués dans un système cloisonné à l'envie ne laissant aucune place aux envies ni aux besoins profonds.

Ces seize jeunes femmes et jeunes gens sur scène, en ce samedi 9 juillet, nous les connaissions sans les avoir pourtant jamais rencontrés(es). Nous les avons côtoyés(es) au lycée ou au collège pendant de très nombreuses années d'enseignement passionné, bien souvent démunie face à leur abandon et leur révolte. Que pouvions-nous faire, à titre personnel, sinon croire en eux par quelques frémissements de tentatives hasardeuses face à une institution inébranlable et obsolète ?

Le spectateur, accueilli à l'entrée de la salle par une jeune femme souriante toute de noir vêtue, est très vite immergé dans la représentation où se dégage rapidement une émotion bien palpable. Au centre de la scène, sur des câbles au premier abord invisibles, seront progressivement placées des petites figurines de carton qui seront projetées au fur et à mesure sur les murs en ombres chinoises. Ce sont à la fois les espoirs de ces jeunes adultes ou des représentations d'eux-mêmes. Ils ont des parcours bien différents, mais pourtant tous un point commun : celui d'être là, fragiles dans leurs vies respectives, mais bien présents sur scène.

© François Saint-Rémy.
© François Saint-Rémy.
Ô combien ! Tantôt ils chantent - au demeurant fort bien -, tantôt ils dansent avec légèreté ou de façon plus "organique", tantôt ils proclament des textes écrits avec une grande sensibilité, des cris expulsés et hurlés du haut de l'âme et du cœur.

Certaines scènes sont des cristaux de roche éclatants qui transpercent la vérité pernicieuse de notre société, emportant le spectateur dans un tsunami d'émotions sans fin. On parle d'homosexualité, d'amour, de migration, de spécisme, de différence, d'amitié, de partage ou du corps qu'on aimerait différent. Mais rien d'ostentatoire, car le tout est finement "scénographié" et poétisé par la musique, le chant, les corps, les textes.

À coup sûr, ces jeunes adultes ne se laisseront pas étouffer par les immenses draps noirs qui se dirigent vers eux au début du spectacle. Bien au contraire ! Sur scène, ils en émergent, heureux et transformés par l'expérience menée, emportés par leur flamme créatrice si juste et tellement vertigineuse.

Quel regret que "Décrocheurs de lune" ne soit pas programmé tout le mois du festival. Espérons que l'an prochain, nous les retrouverons !

"Décrocheurs de lune"

© Perrine Fovez.
© Perrine Fovez.
Textes : Bruno Lajara, Godefroy Segal.
Mise en scène : Godefroy Segal, Nathalie Hanrion, Perrine Fovez.
Chorégraphie : Juliette Morel, Johanna Classe.
Interprètes : Julie Coutelle, David Daigue, Xavier Dercanpentrie, Johnny Delerue, Ibrahima Drame, Michel Dupont, Kim Fremy, Arsid Hasanaj, Sofai Hermant, Sévérine Lambour, Esther Masclef, Baptiste Parsy, Fleuriane Petit, Mathier Poletta, Dante Rizetti, Hélène Rosbif, Eric Toursel.
Musiciens : Flavien Riez, Hugo Quittard, Benjamin Riez.
Par la Cie L'Envol, Arts et Transformation sociale.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h 40.

•Avignon Off 2022•
A été représenté du 7 au 12 juillet 2022.

Tous les jours à 9 h 55, relâche le mercredi.
Théâtre La Manufacture, 2 bis, rue des Écoles, Avignon.
Réservations : 04 90 85 12 71.
>> lamanufacture.org

Brigitte Corrigou
Jeudi 14 Juillet 2022

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© Jean-François Delon.
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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023