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Théâtre

"Le Lauréat", une comédie jubilatoire balançant entre joutes charnelles torrides et badinage plus sérieux que nature

"Le Lauréat", Théâtre Montparnasse, Paris

Célébrant à l'origine le passage d'une période artistique conservatrice, un peu plan-plan, tant au cinéma, au théâtre que dans les autres expressions artistiques, à celle plus libre et libérée, plus débridée, plus fun et colorée des années soixante-dix, "Le Lauréat", dans son adaptation théâtrale cinquante plus tard, s'est transformé en une pièce pétillante, fringante et pleine de jeunesse emmenée par une distribution dynamique où seule pêche par une excès de rigidité la célèbre "Mme Robinson".



© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Pas facile d'adapter au théâtre un film culte comme "Le Lauréat" ("The Graduate", 1967) de Mike Nichols… Plusieurs auteurs s'y sont essayés mais personne n'avait réussi jusqu'à ce que Terry Johnson se consacre à une adaptation pour la scène du scénario original. Le succès fut au rendez-vous et, après Londres, Broadway, Sydney, la voici aujourd'hui pour la première fois en France, mettant face-à-face la sulfureuse Anne Parillaud et le jeune Arthur Fenwick, dans un tortueux jeu de séduction, sous la talentueuse direction d'acteurs de Stéphane Cottin.

Structure littéraire au rythme tendu, régulier et sans temps mort, permettant des enchaînements rapides, le texte donne la cadence immédiatement avec des répliques sèches au début, légèrement déstabilisantes, voire flippantes (direction d'acteurs un peu rigoriste pour les rôles des deux parents et de Mme Robinson) et laissant craindre une certaine austérité de l'adaptation, qui deviennent plus coulantes ensuite, laissant se mettre en place l'ambiance comédie à la sauce US tout à fait jouissive.

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
L'utilisation habile des projections cinématographiques sur les pans du décor et de la chanson de Simon et Garfunkel, qui est au départ suggérée musicalement via des samples modifiés prenant corps progressivement au fil de l'avancée de la pièce, sert admirablement à illustrer certaines situations comme celle de l'ado dans la piscine ou la balade en décapotable. La musique apparaît d'ailleurs comme un acteur supplémentaire distillant, à la façon d'une rengaine, l'atmosphère particulière de cette confrontation entre ébats sulfureux et bluette aux reflets diabolo.

Si cette comédie de mœurs est construite sur un agréable duel consenti à fleurets mouchetés - entre Mme Robinson et Benjamin Braddock - à la fois inattendu, enlevé, insolent et, in fine, dénudé, voyant s'affronter sur le ring des actes et des sentiments humains, séduction, sensualité, sexe (initiatique puis débridé), immoralité et jalousie, l'adaptation de Terry Johnson donne une place plus importante à la romance naissante entre Élaine et Benjamin que dans le long-métrage, instillant ainsi judicieusement une composition théâtrale à trois plus sensible, plus romanesque, plus émotionnelle, plus subtile que le schéma hollywoodien originel.

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Dans cette confrontation à trois, Adèle Bernier (Élaine) est touchante dans ses hésitations amoureuses, son apparente soumission familiale, ses expressions de rébellion naissante et dans ses effets de séduction naïve. Avec un naturel charmeur, et parfois déconcertant, elle navigue entre étudiante au "futur" caractère révolté et femme à la tendance démissionnaire.

Arthur Fenwick interprète bien de son côté le jeune homme mal à l'aise, à l'avenir non défini, dosant ses gestes dans une chorégraphie de la maladresse réussie. Son jeu est bien calé et suit en souplesse l'évolution de son personnage, et les différentes facettes des envies de celui-ci, assouvies ou non.

Bien qu'ayant une prégnance moindre dans le déroulement de l'histoire, le reste de la distribution (Marc Fayet, Françoise Lépine, Jean-Michel Lahmi) répond présent pour exposer et exprimer l'impact familial dans les relations entre nos trois principaux protagonistes ; même si, malgré la bonne traduction de Christopher Thompson, on frôle de près la caricature de l'archétype "WASP".

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Mais l'ensemble est dynamique, souvent enthousiaste, l'ensemble des comédiens s'investissant sans effort, avec un plaisir non feint dans cette comédie jubilatoire balançant entre joutes charnelles torrides et badinage plus sérieux que nature, voire passionné.

"Le Lauréat"

© Jeep Stey.
© Jeep Stey.
Adaptation : Terry Johnson.
Version française : Christopher Thompson.
D'après le roman de Charles Webb.
Mise en scène : Stéphane Cottin.
Assistante à la mise en scène : Victoire Berger-Perrin.
Avec : Anne Parillaud, Arthur Fenwick, Marc Fayet, Françoise Lépine, Jean-Michel Lahmi, Adèle Bernier.
Décor : Catherine Bluwal et Stéphane Cottin.
Costumes : Chouchane Abello-Tcherpachian.
Lumières : Marie-Hélène Pinon.
Vidéo : Léonard.

Du 8 février au 1er avril 2018.
Du mardi au samedi à 20 h 30, matinées samedi à 17 h 30 et dimanche à 15 h 30.
Théâtre Montparnasse, Paris 14e, 01 43 22 77 74.
>> theatremontparnasse.com

Gil Chauveau
Jeudi 8 Mars 2018

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