La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"L'Origine du Monde" Oh mesdames couvrez cette vulve "con" ne saurait voir…

"… par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées", plaçait Molière dans la bouche de son Tartuffe de 1669 à propos d'un innocent sein découvert... L'autrice suédoise Liv Strömquist, dans une BD époustouflante faisant appel à un humour décapant au service d'un contenu rigoureusement documenté, parcourt en 2014 des siècles de représentation des organes génitaux féminins pour en donner à voir les connotations "scandaleuses". En 2022, ces vignettes d'un corps féminin placé sous le joug d'un patriarcat bardé de ses ignorances, les jeunes comédiens et comédiennes - sous l'impulsion de Claire-Aurore Bartolo, elle aussi issue de la promotion 5 de l'éstba du TnBA - s'en saisissent avec ferveur pour présenter, sur un plateau, la vérité de l'histoire du lieu où s'origine l'humanité.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Mais qu'a-t-elle grand Diable de si maléfique en soi cette vulve honnie au point de disparaître encore en 1972 (cf. sonde spatiale Pioneer de la Nasa) de la représentation d'un homme (muni d'un sexe éloquent) et d'une femme (sans rien à montrer) gravés sur une plaque en aluminium à destination des extraterrestres ? Serait-ce parce que des détenteurs d'un savoir officiel (religieux, médecins, philosophes ; par hasard tous de sexe masculin…) l'ont stigmatisé en règle, cet organe féminin externe, en développant à son égard un rejet tel que les rapports entre hommes et femmes en sont profondément contaminés ?

Et c'est là qu'entrent en jeu les trublions contemporains de cette jeune génération d'artistes n'ayant pas froid aux yeux. S'emparant à bras le corps du sujet maudit, dans un flux ininterrompu de complicités ludiques (d'emblée l'actrice butant savoureusement sur l'interdit du mot sexe) et de danses endiablées, ils redonnent vie à ces risibles imposteurs au service d'eux-mêmes, et du patriarcat auquel ils doivent leur situation de dominant. Parmi eux, le célèbre docteur John Harvey Kellogg (incarné avec son paquet en mains) qui, en plus des cornflakes dont il est l'illustre inventeur, avait pour passe-temps favori l'étude obsessionnelle du sexe féminin à protéger… des femmes elles-mêmes, tentées d'y toucher inopinément.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
L'onanisme féminin étant, selon cet éminent savant, la cause de toutes les déficiences mentales et physiques, il n'eut de cesse de vouloir préserver la gent féminine de son penchant diablement nuisible. Ses efforts aboutirent à la prescription d'un remède d'une efficacité reconnue : une application d'acide phénique pur sur le clitoris… L'homme de science mourut en 1943. Bien lui en a pris. Cela lui a évité d'entendre l'un des slogans des féministes de 2022 contre les violences sexistes : "Ne me touche pas ! Je m'en charge…".

D'autres tableaux tout aussi haut en couleur s'enchaînent. Ainsi le prêche d'un apôtre de la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, le dénommé Saint-Augustin (magnifié par sa cape théologique) qui, après avoir confessé avoir pratiqué le sexe dans sa folle jeunesse, renoue avec la fable du péché originel élisant le sexe féminin comme lieu de la dépravation suprême. Sexe marque du diable affectionnant la succion de l'excroissance clitoridienne dans la satanée liturgie des "in-femmes" tentatrices, à la différence des fidèles avalant elles l'hostie consacrée avec la dévotion requise. Pas étonnant alors que la chasse aux sorcières ait conduit au bûcher nombre de ces impies, dotées d'une "mamelle" entre les cuisses, et ce, dans un but de pure prophylaxie chrétienne. Amen.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Après le temps des Religions, vient le temps des Lumières. Changement de discours, mais effets similaires. La femme n'est certes plus un épigone de Satan, mais devient éduquée et instruite, un être "idéal" sans désirs sexuels... Et que penser de l'axiome de la binarité des sexes (scène d'anthologie de la fabrique du genre sur des poupées castrées à la chaîne) eu égard au cas de la Reine Christine de Suède, dont le tombeau fut ouvert en 1965 pour statuer sur son intersexuation, sa nature de pseudo-hermaphrodite ? Et du cas de la Princesse Marie Bonaparte, jugée elle frigide par le père de la psychanalyse, Sigmund Freud (cigare à la bouche), sous prétexte qu'elle n'atteignait pas l'orgasme vaginal lors des pénétrations assurées par le prince Georges de Grèce et du Danemark en personne… alors que l'orgasme clitoridien qu'elle se procurait par ses propres moyens lui apportait tout le plaisir souhaité ?

La scène reconstituant en direct le dialogue entre la susmentionnée Princesse, faussement effarée, et son Georges de Prince, imperturbable, relève d'un humour désopilant, l'un des points d'orgue de cette représentation qui ne manque jamais d'esprit facétieux pour faire rire des postures mâles consternantes. À l'égale de celle mettant en scène le père de l'existentialisme, Jean-Paul Sartre (regard divergent chaussé d'épaisses lunettes et pipe à la bouche), assurant dans "L'être et le néant" la nature "trouée" de la femme qui "de par la configuration de son sexe physiologique appelle une chair étrangère, la transformant en plénitude d'être par pénétration et dilution".

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Est-ce à dire que toutes ces perles, enfilées avec l'assurance tranquille d'hommes bénéficiant de l'infaillibilité masculine, représentent l'ensemble des représentations du sexe féminin ? Que nenni, l'exception étant toujours là pour confirmer la règle… Sont projetées sur grand écran les statuettes de déesses grecques et égyptiennes exhibant fièrement leur vulve ou, plus près de nous, à Poitiers, ornant les colonnes médiévales d'un couvent, les sculptures de vulves offertes généreusement au toucher des passant(e)s. Et pour rappeler les mystères d'Éleusis où les femmes réunies dans le temple de Déméter se montraient joyeusement leurs parties intimes en dégustant des gâteaux en forme de vulve, les officiant(e)s distribuent au public, mis en appétit, des "vulvettes" à déguster sur place.

Alors pourquoi donc la vulve fut-elle ostracisée, pour ne pas dire frappée d'interdit, jusqu'à refuser de la nommer ? Peut-être parce que, située stratégiquement au cœur du plaisir sexuel féminin, elle détrône l'homme de ses pouvoirs fantasmés, magnifiant l'autonomie de la femme jusque dans sa jouissance, et lui rendant ainsi un statut d'égalité qui lui avait été dérobé. Un dernier épisode traitera - sur le même ton allègre - des représentations des menstruations dans l'imaginaire collectif, représentations une fois de plus ancrées "à l'encre rouge" par les stigmatisations de la culture patriarcale.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Ce qui ressort de cette immersion flamboyante dans le royaume des organes intimes féminins, c'est le plaisir libérateur d'être invité à la décapitation d'incongruités sur un plateau de théâtre en liesse. Être ainsi les témoins privilégiés de scènes dévoilant les mille et une vertus du sexe "difemmmé" a forte valeur pédagogique. Une leçon culte d'éducation sexuelle enjouée à partager joyeusement en famille comme l'on dit des productions grand public.

Spectacle vu le vendredi 2 décembre 2022 au Studio de création du TnBA à Bordeaux.

"L'origine du monde"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Librement inspirée de la bande dessinée éponyme de Liv Strömquist, publié en français chez Rackham éditions.
Adaptation et mise en scène : Claire-Aurore Bartolo/Compagnie Il fait belle.
Assistant à la mise en scène : Rémi Fransot.
Avec : Mathéo Chalvignac, Margot Delabouglise, Barthélémy Maymat-Pellicane, Danaé Monnot, Ariane Pelluet.
Lumières : Véronique Galindo.
Son : Léon Blomme.
Régie générale : Pierre Martigne.
Plateau : Margot Vincent.
Durée : 1 h.

Production Théâtre national de Bordeaux Aquitaine.
Projet accompagné par l’éstba dans le cadre du dispositif Culture Pro 2022 du ministère de la Culture.

Du 1er au 10 décembre 2022.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 14 h 30 et 19 h.
TnBA, Studio de création, Bordeaux, 05 56 33 36 80.
>> tnba.org

Yves Kafka
Mercredi 7 Décembre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024