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Avignon 2022

•Off 2022• "Les monstrueuses" ou comment diaboliser les femmes lorqu'elles se libèrent

C'est de filiations en filiations, ou plutôt de mère en fille (devrait-on dire de "filliations" en "filliations" ?) sur au moins trois générations, et entre France et Yémen, que se répète la malédiction de la Majnouna. Dans l'actuelle génération, la dernière, il y a deux filles : Ella et Imane. Cette dernière est internée depuis peu dans un hôpital psychiatrique dans le sud. Mais, pour ce début de spectacle, Ella est seule, loin de tout, attablée à son clavier d'ordinateur en train d'écrire un livre autobiographique : "Les Monstrueuses ou Le rêve d'Ella".



© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
"Les Monstrueuses", voici la malédiction de la Majnouna que subissent toutes les femmes de cette famille. Elles la transmettent depuis toujours. La subissent toutes chacune à leur tour. Elles en meurent parfois. Elles en sont toujours victimes d'une façon ou d'une autre. Pas toujours de la même manière suivant les époques, les sociétés, les civilisations, mais elles ont toutes un destin tragique qui les attend demain ou l'année suivante. À travers l'écriture de son livre qui la plonge dans l'histoire de sa famille, Ella va convoquer ses ancêtres et tenter à travers elles de trouver les sources de ce mal.

Ces invocations vont faire apparaître au plateau toute une lignée de femmes sur tout le siècle passé. Des femmes, des vies et des points de vue sur des mondes divers. Des plus anciennes, il y a Jeanne, provinciale mariée à 17 ans par son père à un bourgeois. Jeanne s'enfuit avec sa fille, mais elle est rattrapée et son enfant, Rosa, lui est arrachée. Et il y a Zeïna, de l'autre branche de la famille, au Yémen. Violée le soir de ses noces par son mari, elle deviendra stérile après la naissance sanglante de son premier enfant. Elle aussi s'échappe avec son fils, pour ne pas être tuée. Et d'autres encore Monstrueuses.

© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
Femmes utilisées pour leur corps ou leurs matrices, femmes battues, violées ou asservies, leur monstruosité réside dans leur volonté de vivre, d'être libre, de protéger leurs vies et celles de leurs enfants. Ces fantômes qui apparaissent sur scène dans de courtes scènes vivantes racontent mieux qu'une histoire particulière. Elles sont l'histoire générale des femmes dont les sociétés usent pour se perpétrer. Monstrueuses par cette force de vie, la force de donner la vie qui devient l'objet de l'avidité universelle, la raison de toutes les violences : une malédiction.

L'histoire est dense comme une tapisserie où s'entrecroisent des dizaines de fils de couleurs. Le motif est parfois difficile à suivre mais tous les personnages sont interprétés avec une belle force, un bon fond de colère et une intense conviction par les deux comédiennes Leïla Anis et Laetitia Poulalion. Une conviction qui leur fait parfois exprimer une émotion puissante, un peu trop débordante pour que le public s'en imprègne. Mais cette représentation vue au Théâtre de Belleville n'est que la troisième cette deuxième mouture. Les premières représentations sont souvent ainsi souvent trop pleines de fougues et d'explosions.

"Les Monstrueuses ou Le rêve d'Ella"

© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
© Oeil Brun/Chartres Mai 2022.
Texte : Leïla Anis ("Les Monstrueuses", Lansman Éditeur).
Mise en scène : Karim Hammiche.
Avec : Leïla Anis, Laetitia Poulalion.
Création musicale : Clément Bernardeau.
Création lumière et régie : Anne-Marie Guerrero.
Régie son : Pierre-Emmanuel Jomard.
Construction : Hugo Dupont.
Tout public, à partir de 13 ans.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 26 juillet 2022.
Tous les jours à 15 h 25, relâche le mercredi.
Théâtre Artephile, Salle 2, 5bis-7, rue du Bourg-Neuf, Avignon.
Réservation :
>> artephile.com

Bruno Fougniès
Jeudi 16 Juin 2022

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

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Bruno Fougniès
15/10/2023