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Théâtre

"Scalpel" La chirurgie esthétique exprimée par l'hyper expressivité de la marionnette… entre autres

Dans une vision prophétique des dérives de la chirurgie esthétique, "Scalpel" remue le couteau dans la plaie et gratte là où ça fait mal. Pour mettre en scène cet univers, il n'y a rien de plus efficace que les marionnettes qui sont capables de montrer sans effrayer les ravages que cette chirurgie peut provoquer. Celles de "Scalpel" (les deux principales) sont d'une étrangeté fascinante, faites de bric d'organes à brac de technologies, elles parviennent pourtant à paraître vivantes et attachantes. Elles nous racontent une histoire où le rire, l'effroi et la poésie se mêlent à une vision du futur des plus noires.



© Martial Anton.
© Martial Anton.
Tout se déroule dans les années 2050. Dans ce lointain proche, les individus sont classés en catégories sociales qui déterminent leurs emplois en fonction de leurs niveaux d'étude mais aussi de leurs qualités esthétiques. L'héroïne, Emma, reléguée en catégorie D à cause de son physique quelconque, économise depuis des années pour bénéficier d'un remodelage qui lui permettrait de passer dans une catégorie supérieure. C'est ainsi qu'elle se retrouve entre les mains de la science chirurgicale qui va transformer son espoir d'un corps amélioré en désincarnation totale.

En ces temps lointains, mais pas si lointains que ça, la technologie a déferlé sur cette médecine. Après la réalité augmentée, l'Occident en est arrivé au corps augmenté et toutes les capacités physiques se gèrent au clic. Les organes synthétiques s'avèrent plus performants que les organes naturels et cette chirurgie ne se contente plus de sculpter les chairs, mais elle s'introduit à l'intérieur des corps et remplace les systèmes entiers. Quant à la beauté recherchée à coup de bistouri, elle, par contre, ne progresse pas énormément : nez droits, yeux en amande, lèvres surdéveloppées, pommettes saillantes et cheveux blonds, le monde projette sur les femmes le même regard hyper sexué qui les transforme en objet à phantasmes.

© Martial Anton.
© Martial Anton.
Car, outre ces opérations ratées du monde de l'esthétisme, "Scalpel" met surtout le doigt sur les injonctions à la beauté et au conformisme physique que subissent de plus en plus les humains, et surtout les femmes, et les enfants. Les images totalitaires des réseaux sociaux, des télévisions et des tabloïds qui sanctifient les formes supposées parfaites sont ici dénoncées avec une belle énergie et une bonne dose d'inventivité. C'est ce qui donne à ce spectacle intelligent un côté instructif et clairvoyant sans jamais quitter la fantaisie, la fiction.

La création des marionnettes, l'invention d'un castelet modernisé où la technique visuelle répond à la bande son techno, comme une mécanique bien rodée, les expressives manipulations presque à vue, le jeu d'acteur (pour le personnage du docteur, épatant Frédéric Rebière porteur d'une folie savoureuse), tous les éléments scéniques du spectacle sont chacun une belle prouesse. Le rythme est intense. Et l'histoire très bien dialoguée par l'autrice Alexandra-Shiva Mélis emporte toute l'attention durant quarante minutes qui paraissent trop peu quand les lumières se rallument, preuve que pas une seconde d'ennui n'est là.

© Martial Anton.
© Martial Anton.
Le projet, porté par les deux metteurs en scène Martial Anton et Daniel Calvo Funes (Cie Tro-héol), est né d'un appel d'offre du festival "ONZE, biennale de la marionnette et des formes manipulées" qui devait se dérouler en novembre dernier, annulé, reporté sans doute à novembre prochain. Un deuxième volet sur cette thématique, du côté masculin cette fois, est en préparation par la même compagnie.

Après une commande d'écriture faite à Alexandra-Shiva Mélis pour "Scalpel", ce deuxième opus intitulé "Plastic" (tout un programme) sera écrit par Javier García Teba pour une création en février 2022. On peut ajouter que le même sous-titre sera attribué avec délectation à ce deuxième volet : "Fantaisie horrifique et chirurgicale"… Vous voilà prévenus !

"Scalpel"

© Martial Anton.
© Martial Anton.
Écriture : Alexandra-Shiva Mélis.
Mise en scène : Martial Anton et Daniel Calvo Funes.
Avec : Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière.
Marionnettes : Daniel Calvo Funes et Rosario Alarcón.
Scénographie : Martial Anton et Daniel Calvo Funes.
Musique et création sonore : DEF.
Création Lumière : Martial Anton.
Construction décors : Thomas Civel, avec Christophe Derrien.
Confection des costumes : Maud Risselin.
Production : Cie Tro-héol.
À partir de 13 ans.
Durée : 40 minutes.
La compagnie Tro-héol est conventionnée avec le Ministère de la Culture et de la Communication - DRAC de Bretagne, la commune de Quéménéven et subventionnée par le Conseil Régional de Bretagne et le Département du Finistère.

>> tro-heol.fr

Spectacle vu le 23 février dans le cadre d'une représentation professionnelle à la salle Guy Ropartz - "Association LILLICO Jeune Public Rennes", Rennes (35).

Bruno Fougniès
Lundi 1 Mars 2021

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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023