La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes… "L'homme qui rit"… La société vu par le regard d'un déguenillé

"Deux yeux pareils à des jours de souffrance, un hiatus pour bouche, une protubérance camuse avec deux trous qui étaient les narines, pour face un écrasement, et tout cela ayant pour résultante le rire, il est certain que la nature ne produit pas toute seule de tels chefs-d'œuvre. Seulement, le rire est-il synonyme de la joie ?"



© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Ainsi parle Victor Hugo en décrivant Gwynplaine, l'enfant martyr défiguré, le monstre de foire, le héros de son roman-fleuve "L'homme qui rit" que la Licorne a entrepris de mettre en scène. Suivant à la lettre l'interrogation que l'auteur adresse à son lecteur, la compagnie, saisissant toutes les perches tendues par ce diable d'homme politique, écrivain, auteur de théâtre et journaliste, trouve une forme condensée, une dramaturgie et une esthétique respectueuse de l'ouvrage.

Sur scène, donc, dans un quasi-découpage filmique composé de tableaux chapitrés par des extraits du texte… Une atmosphère, une esthétique de caricature journalistique et de roman-feuilleton, une représentation vue au prisme de baraques foraines… Un jeune orphelin de famille aristocratique martyrisé et mutilé, abandonné. Rejeté dans les bas-fonds de la société, adopté miraculeusement par un miséreux un peu ours au grand cœur, un certain Ursus, un forain, un bateleur qui l'exhibe comme monstre de foire.

Les déguenillés, les sans voix qui font l'objet de risées, de railleries, de moqueries d'autant plus virulentes que la peur qu'ils suscitent aux gens bien nés est grande. Des lords, des puissants réduits leur surface de morgue, de vanité, de méchanceté bête.

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Le spectateur suit le récit haletant et nerveux, ouvert sur la sensibilité et l'imaginaire du merveilleux propre à tous les contes ; et accompagne de toute son attention le rythme nerveux du spectacle et son réalisme théâtral. Ce spectacle ne pourrait pas exister dans sa force si Gwynplaine (et sa compagne de souffrance la petite Déa) n'était pas une marionnette. Non pas isolée, et montrée en tant que telle, mais fondue dans un ensemble où les êtres humains sont de vrais comédiens maquillés, véritables décalques de caricatures saisis dans leur gestuelle. De véritables masques du sarcasme. Des sosies inverses du monstre de foire, l'homme qui rit. À la marionnette, par l'intensité des événements qu'elle subit, la variation des sentiments. Aux comédiens, l'immutabilité du comportement.

La Licorne trouve, pour ce roman au héros quasi inmontrable, une authentique traduction scénique. Cette transposition conserve l'esprit, le contenu et le contenant. Elle joue de l'émotion, de l'information, fait appel au jugement du spectateur pour lequel elle tire un portrait sans concessions d'une société de caste entre tout-puissants cyniques et faibles miséreux. Apporte des éléments au procès de l'arbitraire, de la marchandisation des corps, de la bêtise mauvaise de l'être humain. Un état de la société vu par le regard d'un déguenillé.

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Dans une petite forme sur le même sujet, la "green box", la compagnie La Licorne prend à rebours le spectateur. Du fin fond de la présentation de foire, au fond de la baraque sordide d'Ursus, point aveugle de la grande forme. Elle montre le survivant de l'aventure foraine de Gwynplaine, le loup apprivoisé qui raconte ses souvenirs dans une forme marionnettique à sa mesure . Un art singulier à base d'ossements tirés de sa tanière et une esthétique d'ensemble grossière.

Satirique et provocateur, ce spectacle interpelle le spectateur sur la nature de son rire, en cela fidèle à Hugo. Et dans une forme de malaise, une confrontation au sarcasme, à la moquerie devant le monstre et la misère. Quel méchant rire que le rire de l'homme qui, c'est bien connu, est un loup pour l'homme. C'est peut-être pourquoi le loup a reçu le nom d'Homo par le forain philosophe Ursus qui recueille Gwynplaine.

Ris donc, parterre ris donc.

"L'homme qui rit"

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.
Mise en scène et scénographie : Claire Dancoisne.
Adaptation : Francis Peduzzi.
Assistante à la mise en scène : Rita Tchenko.
Avec : Henri Botte, Jaï Cassart, Manuel Chemla, Anne Conti, Thomas Dubois, Gaëlle Fraysse, Gwenael Przydatek, Rita Tchenko.
Création musicale : Bruno Soulier.
Création lumières : Emmanuel Robert.
Collaboration artistique : Hervé Gary.
Création des marionnettes : Pierre Dupont, Chicken.
Création costumes : Claire Dancoisne, Chicken, Jeanne Smith, Perrine Wanegue.
Constructions : Bertrand Boulanger, Chicken, Grégoire Chombard, Alex Herman, Olivier Sion.
Durée : 1 h 30.
Tout public à partir de 12 ans.
Une création du Théâtre la Licorne.
>> theatre-lalicorne.fr

Tournée 2019/2020
4 et 5 octobre 2019 : Le Boulon - En partenariat avec Le Phénix, Vieux-Condé (59).
29 novembre 2019 : Association Bourguignonne Culturelle, Dijon (21).
6 et 7 mars 2020 : La Barcarolle, Saint-Omer (62).

© Christophe Loiseau.
© Christophe Loiseau.

Jean Grapin
Samedi 5 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024